Environ 22 000 travailleurs et travailleuses du secteur public au Nouveau-Brunswick peuvent déclencher une grève en octobre si une entente n’est pas conclue avec le gouvernement.
Mercredi, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) du Nouveau-Brunswick a annoncé le résultat du vote de grève final de la section locale 1190 du SCFP, Travail général et métiers. Au cours du dernier mois, 10 sections locales dont les conventions ont expiré ont voté, avec 94 pour cent des suffrages exprimés en faveur d’une grève. Si le gouvernement ne recule pas sur son refus de payer des salaires équitables, le conflit sera déclenché.
Ce mandat de grève démontre le ras-le-bol des syndiqué.e.s du SCFP. Les bas salaires ont entraîné des problèmes massifs de recrutement et de rétention dans de nombreux secteurs, particulièrement en santé, avec des candidat.e.s potentiel.le.s peu attiré.e.s par ces postes et des gens qualifiés se déplaçant vers d’autres provinces plus bienveillantes. Le travail et le stress de la pandémie ont convaincu certain.e.s employé.e.s de première ligne de prendre une retraite anticipée ou de quitter leur profession pour une occupation moins stressante.
Par conséquent, plusieurs travailleurs et travailleuses du SCFP travaillent à effectifs réduits – manquant de personnel pour effectuer leur travail correctement. Cela provoque de la frustration, car les travailleurs et travailleuses ne peuvent pas faire le travail pour lequel ils/elles ont été formé.e.s et le public ne reçoit pas le service qu’il mérite. La situation peut mener à l’épuisement.
La pression pour trouver une solution négociée s’est intensifiée le mardi 5 octobre lorsque le gouvernement Higgs a annoncé que les employé.e.s du secteur public sans vaccination complète contre la COVID-19 d’ici le 19 novembre seraient mis.e.s en congé sans solde. Cela ne laisse que six semaines aux deux parties pour parvenir à un accord.
Quelle est la situation à la table de négociation?
Les deux côtés restent éloignés. Plusieurs sont sans convention depuis deux, trois, ou même quatre ans. La plupart des contrats précédents ont été réglés pour moins que l’augmentation du coût de la vie, les gouvernements successifs plaidant la pauvreté. Les salaires réels des travailleurs et travailleuses du SCFP, comparativement au coût de la vie, diminuent depuis plus de deux décennies.
Le SCFP NB demande une augmentation salariale de cinq pour cent par an sur quatre ans, donc 20 pour cent. Cela inclurait le coût de la vie (près de 10 pour cent) plus le montant perdu après des décennies d’augmentations insuffisantes. Le SCFP NB a publié une vidéo expliquant comment même l’augmentation de 20 pour cent équivaut à un peu plus qu’un sac de pommes.
L’offre initiale du gouvernement était de 3%, non négociable sur quatre ans. Après la fin de l’ultimatum de 100 jours* lancé par le SCFP NB au premier ministre Higgs, le gouvernement a augmenté son offre à 5% sur quatre ans, mais a également exigé de nouvelles concessions inacceptables pour le syndicat.
Quand le SCFP peut-il déclencher une grève?
Tou.te.s les travailleurs et travailleuses du SCFP ont une convention collective avec leur employeur, le gouvernement ou la société d’État. En plus des salaires et des conditions de travail, le contrat stipule qu’il n’y aura pas de grèves ou de lock-out. Lorsqu’un contrat expire, comme c’est le cas actuellement, l’ancien contrat demeure en vigueur, sauf si des grèves deviennent possibles.
La grève se produit rarement après l’expiration d’un contrat, car dans notre système de négociation collective, le SCFP doit franchir de nombreuses étapes avec le gouvernement pour négocier un nouveau contrat. Ces étapes incluent la médiation, la conciliation et l’arbitrage, ce qui peut nécessiter des années pour parvenir à un accord. Si le SCFP déclenchait une grève avant que toutes ces mesures aient été prises, il le ferait illégalement et s’exposerait à d’énormes amendes chaque jour où les travailleurs font grève.
Le mandat de grève à 94 pour cent des 10 sections locales du SCFP est l’une des dernières étapes du processus. Nous sommes présentement dans l’étape suivante, une période de réflexion d’une semaine pour la dernière section locale qui a voté. L’étape finale pour le SCFP de dire à ses membres de faire la grève pourrait avoir lieu la semaine prochaine.
À quoi ressemblerait une grève et où pourrait-elle se produire ?
Faire la grève – cesser d’effectuer son travail tel que convenu dans une convention collective – peut prendre de nombreuses formes, notamment refuser d’effectuer des tâches en dehors de votre description de poste, insister pour prendre des pauses obligatoires à temps, refuser les heures supplémentaires, quitter le travail et monter une ligne de piquetage en dehors du lieu de travail. Toutes ces actions sont des actions de grève, et pour être efficaces, les syndiqué.e.s doivent faire la grève de manière stratégique dans une action coordonnée.
Les syndiqué.e.s du SCFP en position de grève légale vivent et travaillent dans de nombreuses collectivités à travers la province, dans plusieurs professions, des aides-enseignant.e.s aux infirmières auxiliaires autorisées, en passant par les gardien.ne.s d’édifices publics, les porteurs et porteuses dans les hôpitaux, les gens de métier et bien d’autres.
Le SCFP NB travaille depuis des mois pour coordonner les actions de travail avec toutes ses sections locales dans tous ses emplacements. Si une entente ne peut être conclue d’ici la semaine prochaine, le SCFP NB appellera probablement à des mesures d’action uniquement pour certaines communautés et professions. Le syndicat mettra la pression sur le gouvernement là où il sera le plus efficace.
Les grévistes seront-ils payé.e.s ?
Les travailleurs et travailleuses qui continuent à travailler pendant l’intervention – en prenant des pauses obligatoires et en refusant des tâches en dehors de leur description de poste par exemple – continueront d’être payé.e.s par leurs employeurs. Ceux et celles qui cessent leur travail ne percevront pas de salaire, de sorte que les actions initiales seront conçues pour que les gens restent au travail et perçoivent leur salaire.
Toute section locale du SCFP qui cesse de travailler coûtera cher au syndicat, car le SCFP doit verser une « indemnité de grève » aux grévistes. Le SCFP NB a son propre fonds de grève et peut accéder au fonds de grève national. Le SCFP est le plus grand syndicat du secteur public au pays et le président national du SCFP, Mark Hancock, s’est rendu au Nouveau-Brunswick à plusieurs reprises au cours de la dernière année.
Lors d’un lock-out du SCFP à Allardville près de Bathurst l’année dernière, Hancock a déclaré que les travailleurs et travailleuses du Nouveau-Brunswick avaient le plein appui du syndicat national et que le SCFP national avait un «fonds de grève solide».
En juillet de cette année, le président du SCFP-Ontario, Steve Hahn, a déclaré que le fonds de grève national s’élevait à plus de 130 millions de dollars et il a annoncé que le SCFP-Ontario avait fait un don de 50 000 $ au fonds de grève du SCFP NB.
Cela peut sembler beaucoup d’argent, mais si les 22 000 employé.e.s en grève légale quittaient le travail, cela coûterait au syndicat des centaines de milliers de dollars chaque jour. Un scénario de grève totale à l’échelle de la province est donc peu probable à court terme.
La province pourrait-elle utiliser des briseurs de grève ?
Lorsque les travailleurs et travailleuses font la grève et quittent le travail, la réponse habituelle est qu’ils ou elles soient remplacé.e.s par la direction (personnel non syndiqué). Il est peu probable que cela se produise dans la situation du SCFP, car il n’y a pas assez de gestionnaires et ils ou elles n’ont pas la formation pour faire le travail.
Si le SCFP monte un piquet de grève à l’extérieur d’un lieu de travail, aucun autre membre du syndicat – de n’importe quel syndicat – n’est autorisé à traverser. Si un membre du syndicat franchit un piquet, il y aura de graves répercussions, car les syndicats exigent la solidarité les uns des autres.
Les briseurs de grève sont des personnes qui remplacent les grévistes. Seuls le Québec et la Colombie-Britannique ont interdit aux employeurs d’y avoir recours. L’utilisation de briseurs de grève déstabilise l’ensemble du système de négociation collective et peut entraîner d’importants troubles civils et même des violences.
L’embauche de briseurs de grève est légale au Nouveau-Brunswick. En février de l’année dernière, la Ville de Fredericton a embauché des briseurs de grève pour remplacer des travailleurs et travailleuses en grève, membres de la section locale 508 du SCFP. Cela s’est mal passé pour la ville : après une importante réaction de la part des résidents, les scabs ont été renvoyés et une entente est vite survenue avec les syndiqué.e.s du SCFP 508.
Dans la situation actuelle du SCFP, le gouvernement ne pouvait pas se permettre d’embaucher des briseurs de grève pour remplacer des milliers de travailleuses et travailleurs de première ligne, et de toute façon, les salaires sont si bas qu’ils auraient eu de la difficulté à trouver des briseurs de grève pour le faire.
Prochaine étape
Les prochaines semaines seront cruciales pour le SCFP, alors qu’il considère des scénarios de grève qui seront acceptables pour ses membres et gagneront l’appui du public. À ce stade, le SCFP ne dévoile pas toutes ses cartes; tout est encore possible.
Les sections locales du SCFP qui ont voté en faveur d’une grève en septembre pourraient faire grève à tout moment. Lors d’un événement médiatique mercredi, le président du SCFP NB, Steve Drost, a déclaré qu’une section locale dans un endroit tenu secret avait déjà déclenché une grève. Le 12 octobre est la première date à laquelle le SCFP peut ordonner à 22 000 membres des 10 sections locales d’amorcer une grève, bien que certains d’entre eux aient été déclarés travailleurs essentiels et doivent continuer à travailler.
Sans aucun doute, la menace de la province de mettre les travailleurs et travailleuses non vacciné.e.s en congé sans solde d’ici le 19 novembre complique énormément la situation.
Les décideurs du SCFP pour la prochaine étape seront les président.e.s de toutes les sections locales du SCFP concernées, en étroite collaboration avec l’équipe de direction du SCFP NB : le président Stephen Drost, la première vice-présidente Sharon Teare, la secrétaire-trésorière Kim Copp et la directrice régionale du SCFP-Maritimes.
Susan O’Donnell écrit pour la Coop Média NB.
* Certains liens sont disponibles en anglais seulement.