« Parce que c’était 2015 », disait Justin Trudeau, qui avait nommé autant de femmes que d’hommes à son premier cabinet des ministres. Il a répété l’exploit lors du remaniement de 2019 et encore, il y a quelques semaines. Il était le premier à le faire au fédéral en 2015, mais plusieurs provinces avaient déjà eu des cabinets paritaires, en commençant par Jean Charest en 2007.
Mais même aujourd’hui, en 2021, certains critiquent la détermination d’un premier ministre d’avoir un cabinet paritaire, représentatif de la population en termes de sexe, parce que, disent-ils, cela fait passer la compétence au deuxième plan.
Cette critique serait recevable et crédible si ces mêmes personnes avaient, par le passé, exprimé des craintes sur la qualité et la légitimité des cabinets composés presque exclusivement de ceux représentant 49 pourcent de la population: les hommes. Ces cabinets, selon toute évidence, ne profitaient pas de tout le talent disponible. Ou si, par le passé, ces personnes avaient clamé leur admiration devant la compétence éblouissante des formations ministérielles et des gouvernements non paritaires, dominés par des hommes.
Eh ben, au Nouveau-Brunswick, 2021 n’est pas encore 2015. À la fin de 2020 les journalistes ont demandé à Blaine Higgs, nouvellement élu avec un gouvernement majoritaire, et un nombre record de femmes, s’il allait nommer un cabinet paritaire. Il a répondu, « Pourquoi s’arrêter à paritaire ? ». Une façon pour lui de se moquer de l’idée, malgré qu’il ait auparavant déclaré que la parité était une priorité. Éventuellement, il a nommé six femmes dans un cabinet de 16 ministres. On n’a pas entendu parler d’elles depuis, sauf pour Dorothy Shephard, la ministre de la Santé, anti-avortement, non-féministe et incapable de dire deux mots en français.
Un cabinet paritaire femmes-hommes c’est bien, mais un cabinet féministe c’est mieux. Au Nouveau-Brunswick, pourrait-on au moins avoir un cabinet avec un nombre égal de féministes et de non féministes? Étant donné le patriarcat ambiant au sein des partis politiques, il y a une différence entre élire davantage de femmes et instaurer des politiques féministes.
Certain.e.s diront que même l’élection de femmes non féministes, du genre Margaret Thatcher, est positif, car ça donne un modèle aux jeunes et ça démontre que les femmes peuvent malgré tout opérer au sein de l’arène politique.
Je ne célèbre pas l’élection des femmes non féministes, pas plus que je célèbre celle des hommes non féministes. Parce que ces personnes me font honte, et parce qu’elles sont des obstacles au projet féministe. Le mouvement féministe n’a jamais été uniquement une lutte pour augmenter les choix personnels des femmes. C’est plutôt une lutte collective revendiquant des solutions collectives, pour améliorer la situation de toutes les femmes et augmenter l’égalité dans la société. Si ce sont des femmes qui font les coupes en soins de santé, ou qui s’opposent à l’accès à l’avortement et à l’augmentation du salaire minimum, ce n’est point du progrès.
Heureusement, cette année nous avons à l’échelle fédérale, plus de politiques féministes et un réel cabinet paritaire. Les femmes ministres, pensent-on, sont féministes parce que le parti au pouvoir se dit féministe et promeut certains changements féministes. Et le cabinet paritaire que le premier ministre Trudeau a nommé en octobre, n’affiche pas une parité de façade, c’est-à-dire, un cabinet où les femmes ont surtout des ministères sans grande influence ou envergure.
Les femmes du cabinet Trudeau 2021 vont travailler au sommet de la pyramide du pouvoir. En plus du poste de vice-première ministre, les femmes sont aux commandes de ministères stratégiques comme les Finances, le Conseil du Trésor, les Affaires étrangères, la Défense nationale, l’Emploi et Développement de la main-d’œuvre, les Services publics et Approvisionnement, Pêches et Océan, l’Agriculture et 10 autres.
Au niveau fédéral, donc, la situation promet, mais attendons de voir le résultat. Par exemple: si le système de garderies abordables voit le jour, si la réconciliation avec les Premières Nations prend du galon, et si les politiques et les programmes répondent mieux aux besoins de toutes les citoyennes. Et aussi, s’il y a des actions pour arriver plus rapidement à la parité homme-femme chez les élu.e.s, car les femmes ne constituent que 31 pour cent des membres de la Chambre des communes. Le Canada ne se situe donc qu’au 58e rang des pays, quant à leur représentation féminine dans les parlements nationaux. Pour créer son cabinet paritaire, Justin Trudeau avait un caucus formé de 35 pour cent de femmes.
Au niveau provincial, aucune promesse à connotation féministe n’a été faite par Higgs avant son élection et il reste fidèle à lui-même, dénigrant même le besoin pour des garderies plus abordables au Nouveau-Brunswick. Ici, en 2021, les femmes élues ne représentent que 29 pour cent du total des membres de l’Assemblée législative, un niveau record.
En Colombie-Britannique, 45 pour cent de l’Assemblée législative est composée de femmes, et au Québec, c’est 44 pour cent. Depuis 2018, les partis politiques du NB sont incités à choisir des femmes candidates, par une mesure qui leur verse une subvention plus élevée pour chaque vote donnée à une femme. Un vote pour une femme candidate est majoré 1,5 fois le taux payé pour les votes qu’obtiennent les hommes. Une mesure qui devait encourager les partis à nommer des femmes candidates dans des circonscriptions gagnables, mais qui n’a pas eu les effets escomptés, sauf pour le Parti vert qui a présenté 52 pour cent de candidates.
Au niveau provincial, je ne saurais vous dire où trouver des signes prometteurs, si ce n’est dans notre indignation et notre réaction potentielle à ce qui se fait et ne se fait pas.
Rosella Melanson est une féministe militante acadienne et blogueuse de Fredericton.