L’économiste Pierre-Marcel Desjardins souhaite que le gouvernement fédéral sorte des sentiers battus avec sa nouvelle réforme de l’assurance-emploi. Le directeur de l’École des hautes études publiques (HEP), de l’Université de Moncton, connaît bien ce programme. En 2013 et 2014 il a fait partie d’un comité d’experts qui s’est penché sur une réforme de l’assurance-emploi à la demande du Conseil des premiers ministres de l’Atlantique. Dans son rapport, ce comité conclut que c’est surtout le manque de coordination par le gouvernement fédéral qui a causé de l’incertitude en Atlantique.
Contrer la pénurie d’employés
Pierre-Marcel Desjardins préconise une approche globale de la part du gouvernement fédéral pour repenser le marché du travail.
«Il n’y a pas un élément qui va tout régler le problème».
Pierre-Marcel Desjardins, directeur de l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.
Selon lui, il y une certaine urgence d’agir, à cause des effets de la pandémie. Aussi en raison du vieillissement de la population et du manque de travailleur.euse.s dans pratiquement tous les domaines.
«Tout le monde a sa part du blâme».
Pierre-Marcel Desjardins remarque que dans bien des cas, le secteur privé n’offre pas des salaires concurrentiels. Selon lui, les patrons devraient envisager la possibilité d’être plus généreux envers leurs employé.e.s. Il faut aussi mieux adapter les programmes de formation.
«Parce que souvent, ce n’est pas nécessairement fait pour encadrer ou appuyer les gens qui sont déjà sur le marché du travail. Il faut s’assurer également que les travailleurs saisonniers aient un niveau de vie tout à fait adéquat. C’est essentiel. Mais on ne peut pas fermer les yeux sur la pénurie de main-d’œuvre. Et il faut s’assurer que les incitatifs soient présents pour qu’il y ait un encouragement à être le plus actif possible sur le marché du travail.»
D’ailleurs, les réformes des 30 dernières années visaient d’abord à pousser les chômeuses et les chômeurs à réintégrer le marché du travail le plus rapidement possible. Le premier à vouloir serrer la vis a été l’ancien ministre des Ressources humaines, Lloyd Axworthy, en 1994. À l’époque, des milliers de personnes sont descendues dans la rue, lorsque le gouvernement fédéral a porté de 10 à 12 le nombre de semaines de travail requises pour toucher des prestations d’assurance-emploi. Lors des élections fédérales de 1997, le ministre Doug Young a été défait dans la circonscription d’Acadie-Bathurst par le néo-démocrate Yvon Godin, et dans Beauséjour, le libéral Dominique Leblanc a perdu contre Angela Vautour du NPD en raison du mécontentement provoqué par cette réforme.
«Il y a deux manières. Une c’est le bâton, l’autre c’est la carotte. Moi, je préfère la carotte», explique l’économiste acadien.
Pierre-Marcel Desjardins évoque la possibilité d’utiliser une partie des fonds consacrés à l’assurance-emploi pour augmenter les salaires des travailleur.euse.s. Selon lui, une telle mesure augmenterait le nombre de personnes actives sur le marché du travail.
«Moi, si je bénéficie du programme d’assurance-emploi, puis je reste à la maison, j’ai 400 $ par semaine. Mais si je vais travailler, j’ai peut-être 450 $ par semaine.”
Desjardins préconise une approche plus globale au marché du travail. À ses yeux, l’assurance-emploi n’est qu’une composante parmi d’autres. Par exemple, il croit que le gouvernement fédéral doit aussi améliorer l’accès aux garderies abordables et au transport en commun, partout au pays.
«Quand on fait un calcul pour aller travailler, quelqu’un qui fait seulement le calcul de son chèque de paie fait un mauvais calcul. Parce qu’il faut se rendre au travail. Si on a des enfants à la maison, il faut que quelqu’un s’occupe de ces enfants-là.»
L’économiste croit aussi que le gouvernement fédéral pourrait tenir compte du travail saisonnier dans la gestion de la pêche. Par exemple en prolongeant des saisons. Il rappelle que les mesures pour protéger les baleines franches dans le golfe Saint-Laurent rendent la situation encore plus complexe.
«Il n’y a pas de réponse facile. Mais ça doit faire partie de l’exercice.”
Selon lui, le gouvernement fédéral doit aussi reconnaître la nature même du travail saisonnier dans sa réforme de l’assurance-emploi.
«Je m’excuse, mais au mois de janvier et février, quand il y a plusieurs centimètres de glace dans le golfe Saint-Laurent, on ne peut pas sortir, puis aller pêcher.»
Tenir compte des différences régionales
Quand on lui demande quelles leçons il a tirées de l’étude de 2013-2014 sur la réforme de l’assurance-emploi, Pierre-Marcel Desjardins répond que le gouvernement doit être clair quant à ses intentions. Et aussi que les réalités sont bien différentes d’une région à l’autre au Canada. D’ailleurs, M. Desjardins rejette l’idée mise de l’avant par des groupes de chômeur.euse.s d’uniformiser les critères d’admissibilité à l’assurance-emploi.
«Moi, je suis un économiste régional. Et d’uniformiser d’un océan à l’autre, me fait toujours peur», déclare-t-il.
Le professeur se demande si l’assurance-emploi serait encore viable, si le Canada rendait le programme plus généreux, comme le propose le comité Aide et soutien aux travailleurs et travailleuses des industries saisonnières (ASTS). Selon M. Desjardins, si les règles sont les mêmes pour tout le monde, il y aura inévitablement des gagnants et des perdants.
«Moi, ce qui me fait véritablement peur avec cette approche-là, c’est qu’éventuellement, avec le poids politique et démographique du Grand Toronto, qu’on ait des politiques qui soient axées sur les besoins de Toronto et que nous, en Atlantique, qu’on soit pénalisé avec ça.»
Et à savoir s’il est optimiste quant au résultat de cette réforme, Pierre-Marcel Desjardins répond : «Je suis comme Saint-Thomas. Je veux voir de quoi on va véritablement accoucher, avant de porter un jugement. Ça fait trop longtemps. On s’est lancé sur des initiatives, puis est-ce qu’on veut véritablement améliorer le système?»
Le gouvernement fédéral prévoit dépenser 5 millions et demi de dollars sur une période de deux ans pour repenser l’assurance-emploi. La pénurie de main-d’œuvre, qui touche pratiquement tous les domaines, ne se résorbera pas de sitôt. Et la pression reste forte pour qu’Ottawa trouve un équilibre entre la protection des personnes en chômage et les besoins du monde des affaires en matière de main-d’œuvre.
La population canadienne avait jusqu’au 19 novembre pour participer à la consultation en ligne. Emploi et développement Canada a reçu plus de 1 900 réponses à son questionnaire en plus de soumissions écrites de la part de 57 organisations et associations de divers secteurs.
Michel Nogue a été journaliste à Radio-Canada en Saskatchewan et en Acadie pendant 41 ans.