C’est en janvier 2021 que le premier ministre Blaine Higgs a annoncé les modalités qui allaient encadrer le processus de révision de la Loi sur les langues officielles (LLO). Il précisait que deux commissaires seraient nommés, un pour réviser la LLO et l’autre pour « se pencher sur les difficultés des anglophones à apprendre le français. » En dépit de la demande de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), de tenir des consultations publiques, « à cause des tensions linguistiques actuelles », les rencontres allaient se dérouler à huis clos. L’argument invoqué: pour permettre aux témoins de se sentir à l’aise d’exprimer leurs points de vue sans pression de l’extérieur.
Cette façon de procéder a suscité des critiques des partis de l’opposition qui ont dénoncé la décision de Blaine Higgs de « mélanger langues officielles et apprentissage du français dans un exercice derrière des portes closes ». Quelques jours après l’annonce, Mathieu Roy-Comeau affirme dans l’Acadie Nouvelle que cette décision de mener les consultations en privé témoigne d’une volonté de protéger les détracteurs du bilinguisme officiel. « Ceux qui ont besoin de s’exprimer en privé, ce sont ceux qui pensent que la majorité est opprimée par la minorité au Nouveau-Brunswick ou que l’anglais est en voie d’extinction en Amérique du Nord. » Mais l’éditorialiste pense que c’est un moindre mal dans la mesure où « Pour qu’un tel processus se déroule en public sans dégénérer en véritable guerre linguistique, il faudrait que nos élus fassent preuve d’un engagement inébranlable envers le bilinguisme officiel et qu’ils soient prêts à le défendre à chaque tournant avec vigueur et aplomb ».
Dans un dossier du Moniteur acadien portant sur les langues officielles, le politologue-chroniqueur, Roger Ouellette, rappelle que les gouvernements de la province sont peu enclins à mener des consultations publiques sur les langues officielles depuis celles qui ont été menées dans les années 1980. Ils craignent une répétition des événements de l’époque, qui avaient donné lieu à un « défoulement public des opposants aux langues officielles et contribué à clouer le cercueil du gouvernement de Richard Hatfield, qui connaîtra une déroute électorale historique lors des élections de 1987 ». En voulant que les consultations demeurent privées, le juriste Michel Doucet estime qu’« on continue à perpétuer ainsi le symbole que les Néo-Brunswickois ne sont toujours pas assez matures pour pouvoir discuter publiquement du contrat social que représente l’égalité linguistique dans la province ».
Se prononçant également sur le processus , le sociologue Mathieu Wade considère qu’il s’agit d’une occasion ratée de débattre et de discuter publiquement des langues officielles et du bilinguisme. Il craint que ces consultations privées « ne contribuent qu’à alimenter le cynisme, la méfiance et à perpétuer des mythes et des rancunes larvées qui s’exprimeront librement sur les réseaux sociaux et dans les commentaires des articles de la CBC, à défaut de pouvoir le faire ouvertement au sein de nos institutions démocratiques… »
Reprenant les mots du président de la SANB, qui affirmait que la LLO est « un contrat social qui repose sur des idéaux cherchant à assurer l’égalité des deux communautés linguistiques de la province », le sociologue pense que sa révision devrait être l’occasion « d’une discussion franche et ouverte sur notre cohabitation linguistique », sinon, il doute que « la population soit au rendez-vous […] qu’on atteigne un jour «l’égalité réelle ».
En février 2021, le gouvernement du Nouveau-Brunswick annonçait la nomination des deux commissaires appelés à mener les consultations et mandatés de déposer un rapport au plus tard le 31 décembre 2021. Le gouvernement leur a assigné la tâche complémentaire de « suggérer des moyens d’améliorer l’accès à l’apprentissage des deux langues officielles des Néo-Brunswickois ».
Plusieurs intervenants ont remis en cause le fait d’aborder dans un même exercice la question de la révision de la LLO et celle de l’apprentissage des langues officielles. La SANB a dit souhaiter que la révision de la LLO soit distincte de la question de l’apprentissage d’une langue seconde. La commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Shirley MacLean, croit que le processus annoncé par le premier ministre risque de créer de la confusion dans la population en confondant ces deux questions. Elle rappelle que « L’éducation en général et l’apprentissage du français langue seconde ne font pas partie de la loi » et craint que cette question relègue la révision de la LLO au second plan. Elle croit par ailleurs que le fait que les consultations se fassent derrière des portes closes risque d’alimenter la désinformation.
Malgré ces critiques, le processus de consultation s’est déroulé dans la forme annoncée sans faire de vagues ni susciter de discussions publiques sur la question des langues officielles. Comme on peut le voir sur le site web créé pour la consultation, plus d’une vingtaine de mémoires ont été soumis. Le site n’indique pas qui sont les personnes qui ont été consultées en privé.
Après 50 ans de juridiction en matière de langues officielles, il aurait été pertinent de faire le point sur cet élément pourtant fondamental de la société néo-brunswickoise. Le processus de révision de la LLO au Nouveau-Brunswick contraste particulièrement avec celui de la révision de la LLO du Canada. Quatre consultations publiques ont eu lieu afin de réfléchir à la révision de la LLO fédérale: celle du Comité sénatorial permanent des langues officielles (lancée en 2017), celle du Commissariat aux langues officielles du Canada (en 2018), celle du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes (en 2018) et celle de Patrimoine canadien et de la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie (en 2019). Cela montre qu’il est possible de discuter et de réfléchir collectivement aux langues officielles. Pourquoi est-ce difficile de le faire au Nouveau-Brunswick, province officiellement bilingue depuis 1969?
À l’évidence, il y a un malaise autour de la LLO au Nouveau-Brunswick. Cette Loi constitue un héritage que les partis au pouvoir assument difficilement. Le climat actuel est tel qu’il semble plus facile pour un groupe comme le Anglophone Rights Association of New Brunswick (ARANB) et le People’s Alliance de contester les avancées de la LLO que pour le reste de la population de défendre les acquis linguistiques. Le manque de leadership de la part des gouvernements et des leaders, quand vient le temps d’affirmer les droits linguistiques, a laissé le champ libre à un groupe comme l’ARANB pour se présenter comme les victimes d’une Loi qui irait trop loin selon eux. À la veille d’annoncer les modalités de la révision de la LLO, le premier ministre Higgs a rencontré des représentant.e.s de l’ARANB au même titre que la SANB, comme si, à l’instar de la SANB pour la communauté acadienne, l’ARANB représentait la communauté anglophone. Ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions du côté de la communauté acadienne. Et même chez certain.e.s anglophones, qui dans une lettre déclaraient que ce groupe ne les représente pas.
Le fait de ne pas aborder publiquement la question des langues officielles ne permet pas de faire progresser la discussion et la réflexion collectives et d’établir des nouveaux consensus éclairés et bien informés dans la province en ce qui concerne les langues officielles. Il est à souhaiter que la sortie du rapport des commissaires suscite une discussion publique et contribue à affirmer clairement la nécessité pour la province d’assumer l’héritage des droits linguistiques et de réunir les conditions pour que la communauté acadienne poursuive son épanouissement. Il est temps que certains groupes qui luttent contre le bilinguisme comprennent que l’épanouissement de la communauté acadienne peut se faire sans nuire à la communauté anglophone, mais qu’au contraire elle contribue à l’épanouissement de l’ensemble de la province. C’est dans l’intérêt de cette dernière de voir ses communautés s’épanouir et se développer.
Diplômé en sociologie, Éric Forgues est un chercheur qui s’intéresse aux minorités linguistiques, à la vie démocratique, à la gouvernance et à la justice sociale.