On n’en était qu’au sixième jour de la COP26, que les militant∙e∙s assemblé∙e∙s dans les rues de Glasgow déclaraient que la conférence climatique était un échec. Pour peu qu’on ait suivi le processus de la diplomatie climatique internationale qui se déroule depuis 1992, on aurait pu déclarer l’échec de la conférence avant même qu’elle ne débute.
Ces conférences annuelles, où se rencontrent les parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, sont, d’un côté, le lieu de grandes déclarations de la part des politicien∙ne∙s qui cherchent à donner l’impression d’être « du bon côté de l’histoire », et de l’autre, celui d’interminables discussions sur la terminologie et le placement des virgules dans la déclaration finale. Mais en fait, rien dans ce processus international n’existe qui puisse contraindre les États rassemblés à prendre des mesures efficaces pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). La participation aux accords ne dépend de rien d’autre que du bon vouloir des gouvernements en place. C’est ce qu’a démontré Stephen Harper en signant le retrait du Canada du Protocole de Kyoto en 2011, puis Donald Trump, qui a fait de même en soustrayant les États-Unis à l’Accord de Paris en 2017. Qui plus est, l’Accord de Paris, présenté comme un éclatant succès, engage simplement les États signataires à présenter des cibles de réductions volontaires et à les mettre à jour périodiquement, rien de plus.
Le document final de la COP26, le Pacte de Glasgow, s’inscrit dans cette même lignée des déclarations qui n’engagent à rien. Tout au plus, comme l’ont remarqué les analystes, l’article 36 enjoint les parties à réduire l’intensité carbone de la production d’électricité au charbon, présumément à l’aide de dispositifs de capture et stockage du carbone, et à éliminer les subventions aux projets pétroliers et gaziers dits « inefficaces ». On note aussi dans le préambule « l’importance, pour certaines personnes, du concept de justice climatique » par rapport à l’action climatique. Un signe des efforts de certain∙e∙s négociateur∙trice∙s pour au moins insérer les mots « justice climatique » dans le texte.
Pourquoi donc, si chaque année rien ne change, le monde porte-t-il tant d’attention aux COP?
Pour répondre à cette question, il faut comprendre les termes du débat actuel. Depuis le début des négociations internationales en 1992, on cadre les discussions comme opposant deux camps : l’un qui nie la crise climatique et l’autre qui tient compte des travaux des climatologues et travaille donc à éviter la catastrophe. Ce cadrage était très pertinent à l’époque, puisqu’un grand nombre d’entreprises de différents secteurs et de dirigeant∙e∙s politiques se rangeaient du côté du déni, et qu’il fallait convaincre le public de la réalité du problème.
Sauf qu’aujourd’hui, le déni direct du réchauffement global n’est plus une position sérieuse. C’est une position marginale, surreprésentée de beaucoup dans les médias. À part les extrémistes du Parti républicain américain et leurs alliés, à peu près tout le monde parle maintenant de transition, on en a eu l’exemple à la COP 26. Pourtant, toutes les transitions ne se valent pas. C’est là qu’en est le débat.
Passons outre la position des pétrolières canadiennes et du gouvernement albertain, qui martèlent que oui, il faut une transition, mais qu’on va quand même avoir besoin de pétrole pendant encore longtemps, et donc dans l’intérim il vaudrait mieux investir dans le pétrole bien de chez nous, « propre » et « éthique ».
Au-delà de ce déni à peine voilé, on trouve deux positions. D’une part, un camp croit que le modèle économique actuel peut être rendu soutenable, ou au moins qu’on ne verra pas de grande transformation de sitôt, et propose donc une panoplie de stratégies technologiques pour réduire les émissions. On avance que l’électrification de la flotte de véhicules, combinée avec une production d’électricité basée sur le solaire, l’éolien et le nucléaire, permettra la transition vers une économie faible en carbone qui, outre son approvisionnement énergétique, sera pour l’essentiel semblable à celle d’aujourd’hui. Un prix du carbone et des subventions gouvernementales ciblées seront le moteur de cette transition.
De l’autre côté, on ne voit pas de solution au réchauffement planétaire ni à la crise environnementale dans un système économique fondé sur la croissance infinie. On s’engage donc pour construire des modes d’organisation sociale alternatifs, qui mettent de l’avant le partage, le care, la souveraineté autochtone et la prise de décision démocratique pour assurer un niveau de vie raisonnable à toutes et tous.
Le cadrage de la crise climatique comme un affrontement entre le déni d’une part et l’acceptation des conclusions scientifiques de l’autre ouvre toute grande la porte pour que les entreprises de toutes sortes, pétrolières y comprises, se donnent le beau rôle. Ainsi, elles admettent l’existence de la crise climatique et proposent comme solution une transition qui n’en est pas une, mais qui sert à déplacer simplement le problème : on milite pour des voitures électriques, des camions à l’hydrogène ou au gaz naturel « renouvelable » et des centrales nucléaires qui réduisent les émissions, alimentent la bonne conscience et maintiennent les profits ici, tout en transférant les impacts ailleurs.
Si on sort de cette opposition entre déni et science, on voit bien que les COP sont des rassemblements qui visent à maintenir les taux de profit et l’emprise des grandes entreprises sur le monde : on discute des modalités de la transition-qui-ne-change-rien. Si c’est ce qu’on souhaite, il vaut alors peut-être la peine de suivre le positionnement des grandes puissances, les discussions sur la position des virgules et les épithètes accolés à l’un ou l’autre mot. Mais sinon, il vaut probablement mieux passer son temps à construire une vraie transition écologique, juste et démocratique.
Jean Philippe Sapinski est professeur d’études de l’environnement à l’Université de Moncton. Ses projets actuels portent sur l’obstructionnisme de l’industrie des hydrocarbures face à la crise climatique, la géoingénérie climatique et les mouvements territoriaux pour une transition écologique à l’échelle locale. Il est co-chercheur avec le Corporate Mapping Project.