Le Nouveau-Brunswick a accompli des progrès énormes en matière de droits linguistiques durant les 50 dernières années. Bien que d’autres provinces reconnaissent certains droits linguistiques et soient assujetties à des obligations législatives ou constitutionnelles, le Nouveau-Brunswick demeure la seule province officiellement bilingue au Canada.
Le Nouveau-Brunswick est bilingue parce que la Constitution et la législation canadiennes confèrent le statut de langues officielles à la langue anglaise et à la langue française. Elles reconnaissent également le principe de l’égalité de ces deux langues et de leur communauté respective. Ces mesures législatives et constitutionnelles imposent à la province des obligations qui lui sont tout aussi particulières.
En 1969, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick reconnaissait, pour la première fois, que l’anglais et le français avaient un statut équivalent de droit et de privilège et prévoyait l’exercice de certains droits linguistiques. En 1981, le gouvernement provincial adopte la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, laquelle reconnaît officiellement l’existence et l’égalité des deux communautés de langue officielle et leur droit à des institutions éducatives, culturelles et sociales distinctes.
L’année suivante, le gouvernement fédéral procédait au rapatriement de la Constitution canadienne et à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés.
Les autorités gouvernementales du Nouveau-Brunswick décident alors d’inscrire des droits linguistiques dans la Charte, lesquels s’appliquent exclusivement au Nouveau-Brunswick. Ces droits linguistiques sont garantis aux paragraphes 16(2) à 20(2) de la Charte. En 1993, le gouvernement provincial constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques par l’inscription de l’article 16.1 . Cet article prévoit l’égalité des deux communautés linguistiques, anglophone et francophone. Également, il définit le rôle de protection et de promotion de l’égalité de statut des communautés linguistiques officielles, rôle qui est expressément confié à la législature et au gouvernement du Nouveau-Brunswick. En 2002, après de nombreuses années de tergiversation, le gouvernement provincial adopte finalement une nouvelle Loi sur les langues officielles, laquelle respectera davantage les obligations constitutionnelles de la province.
Le régime de bilinguisme qu’a adopté le Nouveau-Brunswick ne représente pas une forme de bilinguisme personnel, puisqu’il ne vise pas l’acquisition des deux langues officielles par les individus. Personne n’est tenu d’apprendre les deux langues officielles. Il s’agit plutôt d’un bilinguisme institutionnel, lequel vise l’emploi de deux langues par la province, et certaines de ses institutions, dans la prestation des services publics. Dans un tel régime, l’individu a le choix d’employer l’anglais ou le français dans ses rapports avec les institutions gouvernementales.
Pour bien saisir la nature de ces droits, il est nécessaire de revenir sur quelques principes de base. Le premier est celui de la règle d’interprétation applicable à ces droits. Selon la Cour suprême du Canada dans l’affaire Beaulac, les « droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada ». De plus, l’interprétation des droits linguistiques doit pleinement tenir compte du contexte social pertinent.
Le deuxième principe est celui qui veut que les droits linguistiques imposent des obligations positives à l’État: « Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques. » (« Beaulac »)
De plus, la Cour suprême du Canada rappelle que l’égalité réelle – et non l’égalité formelle – constitue la norme applicable au Canada en matière de droits linguistiques. Le principe d’égalité réelle constitue en fait le fil conducteur de toutes les garanties linguistiques constitutionnelles et législatives. Ce principe est essentiel, car les tribunaux rejettent ainsi l’idée selon laquelle le droit à un service dans une langue officielle ne constitue qu’un simple droit à un accommodement. Par ailleurs, les tribunaux reconnaissent que le droit de recevoir des services de qualité égale n’équivaut pas simplement au droit de recevoir un service identique, mais comprend le droit de recevoir un service qui tient compte des besoins particuliers de la communauté minoritaire et qui répond à ces besoins.
Le principe de la dualité linguistique, ou le caractère collectif de ces droits, constitue une autre composante essentielle des droits linguistiques dont les libellés, au premier regard, ne dévoilent souvent qu’une dimension individuelle. Bon nombre de droits s’exercent en tant que personne membre d’une collectivité ou en raison de l’existence de la collectivité. Pour tout dire, l’un des objets des droits linguistiques est de faire échec à l’assimilation linguistique et culturelle, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’assimilation menace non seulement l’individu, mais aussi la communauté linguistique à laquelle il appartient. Deux moyens ont été privilégiés pour contrer les pressions assimilatrices: le développement et le maintien d’un réseau d’institutions, et l’exercice, par les représentants d’une communauté de langue officielle, du pouvoir de gestion et de contrôle de ces institutions.
La protection et le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire sont intimement liés au contrôle et à la gestion qu’elles exercent sur leur réseau institutionnel. Le principe de la dualité justifie, sur les plans politique et juridique, non seulement des commissions scolaires de langue française, gérées par la communauté linguistique française de la province, mais aussi des universités et des collèges communautaires de langue française, des municipalités qui s’affirment comme francophones et des institutions dans le domaine de la santé, gérées par et pour le bénéfice de la communauté linguistique minoritaire.
Que les droits linguistiques soient exprimés comme des droits individuels ou comme des droits collectifs, il n’en demeure pas moins que ce qui justifie leur existence n’est pas nécessairement la protection de l’individu, mais plutôt, la préservation d’un patrimoine culturel et de la sécurité culturelle du groupe. Dans la mesure où ils s’exercent en commun avec les autres membres de la communauté, ces droits, de par leur nature même, et en raison de leur objet, sont liés à des activités collectives. Ils ont pour but de donner à la communauté minoritaire la possibilité de participer pleinement à la vie publique, sur un pied d’égalité avec le groupe majoritaire. Ils ont également pour but d’éviter l’arbitraire de certaines décisions gouvernementales, prises sans tenir compte de la réalité particulière de la communauté minoritaire.
C’est donc en vertu de ces principes que le processus de révision de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui doit se terminer le 31 décembre 2021 devait se faire. Est-ce que ce sera le cas? L’avenir nous le dira.
Michel Doucet, c.m., o.n.b., c.r., o.f.a., est un professeur émérite en droit.