En dirigeant l’ouvrage collectif L’État de l’Acadie – un grand tour d’horizon de l’Acadie contemporaine, Michelle Landry, Julien Massicotte et Dominique Pépin-Filion avaient pour objectif de « contribuer à une meilleure compréhension de cette Acadie d’aujourd’hui, diverse et complexe, par le biais de textes courts, accessibles et informés ». Nous pouvons déjà affirmer sans aucune hésitation que cet objectif est atteint.
Lancée en 2021 par Del Busso Éditeur, cette publication de plus de 500 pages est ambitieuse et offre de nombreuses pistes de réflexion, pour peu qu’on s’intéresse à cette Acadie plurielle : celle du Nouveau-Brunswick, bien sûr, mais également et dans une moindre mesure, celle de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador.
Dix grands thèmes sont développés dans cette édition : la population acadienne, la langue, l’éducation et la formation, l’environnement et l’économie, les enjeux sociaux et le féminisme, la culture et les médias, le pouvoir et le politique, les droits linguistiques, la société civile, ainsi que la religion, la mémoire et le patrimoine.
Regroupant environ 100 collaborateurs, L’État de l’Acadie -un grand tour d’horizon de l’Acadie contemporaine, présente des textes variés, d’environ 4 ou 5 pages chacun. Bien qu’intimidant au premier abord, c’est ce qui permet de rendre l’ouvrage entièrement accessible, pour ceux et celles qui n’ont pas l’habitude de plonger dans la lecture d’écrits scientifiques. Le lecteur ou la lectrice peut, en effet, choisir plusieurs textes dans l’ordre ou le désordre, les savourer par petites bouchées, ou dans leur ensemble, et y revenir pour poursuivre ou pousser plus loin sa réflexion.
Évidemment, L’État de l’Acadie – un grand tour d’horizon de l’Acadie contemporaine ne pouvait traiter de tous les sujets ni de toutes les provinces de l’Atlantique en profondeur. Pour ma part, j’aurais bien aimé une analyse plurielle de la société civile acadienne, des structures de gouvernance communautaire et des pistes de réflexion sur le sujet. J’aurais aussi souhaité voir plus de textes portant sur la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard ou Terre-Neuve-et-Labrador. On ne peut que souhaiter une autre édition qui permettra de traiter de ces questions ou d’autres qui auraient pu faire l’objet de recherches.
Toutefois, ce serait malhonnête de retenir ce qui n’est pas, plutôt que ce qui est, à savoir les écrits foisonnants qui forment cette publication ainsi que les multiples pistes de réflexion ou les questions qu’elle suscite. En voici quelques exemples :
Dans L’acadianité redéfinie, les auteurs Isabelle Violette, Dominique Pépin-Filion et Marc-André Bouchard notent la divergence entre le regard des militants acadiens, ouverts à l’inclusion de personnes issues de l’immigration, et celui de la population en général, axée davantage sur la généalogie et la mémoire de la Déportation. Ce texte se veut ainsi une invitation à concilier les deux positions.
Dans Exode rural, vieillissement et immigration, Maurice Beaudin souligne le clivage qui tend à s’accentuer entre les régions centrales et les régions en périphérie. Le lecteur ou la lectrice peut se demander si le mouvement de retour à la terre, noté au cours de la pandémie, est un mouvement qui va aider ou suffire à contrer ce clivage.
Quant au texte Les habits neufs de l’antibilinguisme, l’auteur Marc-André Bouchard y présente divers arguments des tenants de l’anti-bilinguisme au Nouveau-Brunswick: le coût financier, les inégalités pour le marché de l’emploi, l’inefficacité des programmes de langue seconde et le pouvoir de la majorité sur la minorité. Or, il semble que ces arguments sont moins souvent évoqués dans les autres provinces atlantiques. Est-ce le cas ? Le cas échéant, qu’est-ce qui permettrait d’expliquer cet état de fait ?
Dans Les parlers acadiens, Karine Gauvin conclut: « Pour autant, cela ne veut pas dire que les Acadiens n’utilisent pas les registres de langue plus soutenus, beaucoup plus répandus qu’ils ne l’ont été dans le passé. La situation s’explique en partie par la création d’espaces linguistiques homogènes (dont les établissements scolaires et les médias) et d’associations comme la Société Nationale de l’Acadie (SNA) et la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). » Encore une fois, cette affirmation nous interpelle et nous incite à demander comment les associations ou organismes acadiens contribuent-ils à des registres de langue plus soutenus?
Pour sa part, Réal Allard affirme, dans son texte intitulé Les services de garde, qu’un des défis pour les communautés francophones est de joindre les couples exogames, parents d’enfants dits, ayants droit, pour les informer de leurs droits et des enjeux linguistiques en lien avec la langue de la garderie qu’ils choisiront pour leurs enfants. La question qui se pose alors est comment faire pour joindre ces ayants droit?
Quant à Mélanie Millette, elle indique dans Les médias sociaux et les pratiques d’information que les médias sociaux ne constituent pas une solution idéale pour pallier le manque d’informations locales, quotidiennes, et en langue française. Or, l’arrivée des médias sociaux en français n’a-t-elle pas justement été provoquée par ce manque d’information locale ?
La féminisation du journalisme, traité par Marie-Linda Lord, permet de mettre en lumière la très faible présence des femmes aux postes journalistiques importants. Il est alors permis de se demander quelles sont les raisons qui font que les femmes qui occupent de tels postes soient encore très largement minoritaires.
Pénélope Cormier traite de L’actualité artistique en insistant sur la diminution de la réception critique des arts acadiens et indique plusieurs facteurs qui permettent d’expliquer ce fait, dont la diminution du nombre de médias traditionnels et, la perte d’accueil du discours critique dans les médias, entre autres. À ces facteurs, on peut également se demander si nous ne sommes pas trop chatouilleux face à la critique en Acadie et, le cas échéant, si ce n’est pas un facteur qui pourrait expliquer cette absence de critique des arts acadiens.
Dans Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, Michel Doucet dresse un portrait des droits linguistiques durement acquis dans cette province. À la lecture de ce texte, qui traite des droits prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés, dans la Loi sur les langues officielles du Canada, dans la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et dans la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, on se demande jusqu’à quel point la population francophone est consciente de ces droits et jusqu’à quel point elle est disposée à les défendre.
Autant de questions qui, à la lecture de ces textes, devraient susciter une réflexion plus poussée de la part des acteurs politiques et communautaires de l’Acadie dans son ensemble. Autant de données probantes qui servent à éclairer et à appuyer des représentations politiques à tous les niveaux. Autant de sujets dans cet État de l’Acadie qui pourraient très bien servir de tremplin pour des États généraux de l’Acadie. Au fond, ce livre est un appel à aller plus loin, à voir plus haut et à poursuivre notre réflexion collective.
Marie-Claude Rioux est directrice de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse.