Imaginons le scénario suivant:
Tu es féministe et habites une province où les taux de pauvreté familiale et infantile sont parmi les pires au pays, qui se déshonore avec son taux de violence faite aux femmes et son inaction face à celle-ci et à ses causes, qui affiche depuis longtemps un salaire minimum abyssal, qui donne un accès minimum au service d’avortement et se préoccupe peu des autres aspects de la santé des femmes.
Tu es féministe dans une province qui publie rarement des données sur la situation des Néo-brunswickoises et ne fait pas d’analyse inclusive genrés de ses politiques et de ses budgets.
De plus, dans cette province, les quelques groupes qui font du travail féministe se consacrent presqu’exclusivement à la livraison de services, faute de ressources et d’appui.
Tu es féministe dans une province où les leviers de changement sont limités et sous l’influence – presqu’avouée – de la méga entreprise Irving qui détient la grosse part de l’économie et des ressources naturelles.
Conclusion: tu es féministe au Nouveau-Brunswick!
Mais voilà que t’apprends qu’il existe depuis quelques années une entité indépendante ayant un budget annuel d’un demi-million – un Conseil des femmes du Nouveau-Brunswick – créé par une loi provinciale qui l’a mandaté « d’attirer l’attention du gouvernement et du public sur les questions qui préoccupent les femmes et qui concernent leur égalité réelle », et « d’agir de façon stratégique et fournir des conseils sur les questions d’actualité et d’avenir » et de « représenter les femmes du Nouveau-Brunswick » en menant « des recherches sur les domaines qui concernent leur égalité réelle que le Conseil juge appropriés », en publiant « les rapports, les études et les recommandations qu’il estime utiles ».
Et t’apprends que ce sont des féministes solides qui forment ce Conseil.
Tu dirais, « Ben voyons. Si ça existait, on le saurait. Où sont les études, les rapports, les événements, les dénonciations, où sont les efforts d’organisation de la résistance féministe ? Où sont les recherches démontrant la situation des femmes, et celles réfutant ce que le gouvernement prétend ? Non, j’y crois pas. »
En fait, le Conseil des femmes du Nouveau-Brunswick existe depuis sept ans.
Ses atouts considérables pourraient lui permettre d’être une véritable force dans l’arène politique provinciale. Mais le Conseil des femmes semble paralysé. Même que depuis début 2018, il ne publie plus de rapport annuel. Il ne comparaît pas devant le comité législatif sur les comptes publics, et n’a donc pas eu à défendre son travail et son budget.
Le Conseil des femmes du N.-B. a peu de présence sur la scène publique ou dans les médias, même les médias sociaux. Il ne publie pas de bulletin d’information comme le font ses conseils sœurs au Québec et à l’Île-du-Prince-Édouard et, contrairement à celles-ci, le Conseil des femmes du Nouveau-Brunswick ne semble pas avoir d’activités ou de programmes.
Selon ce qu’on rapporte dans les médias et sur leur site internet, les réalisations principales du Conseil jusqu’à présent seraient : un questionnaire offert en ligne en 2017, un document début 2017 rédigé en réaction au Plan pour les familles du gouvernement Brian Gallant et une soirée discussion avec les chefs et cheffes des partis politiques tenue durant la semaine du scrutin provincial de 2018. Le Conseil est intervenu en 2018 pour dénoncer l’expression fétiche du gouvernement Higgs et du People’s Alliance, « un gros bon sens ». Une phrase souvent évoquée pour maintenir le statu quo et priver certains groupes de leurs droits. « Le gros bons sens présume un point de vue commun et universel, alors qu’un tel consensus n’existe pas souvent », dit le Conseil. Brava! Il faudrait qu’il récidive en prenant plus souvent de telles positions.
En faisant un inventaire des textes publiés par les médias d’information, on retrouve surtout des reportages dans lesquels le Conseil réagit à une action d’un gouvernement ou à un sondage. Ce qu’on ne retrouve presque pas sont des reportages sur des actions, études ou événements initiés par le Conseil, et découlant de ses propres priorités, plutôt que de celles du gouvernement.
Comme le dit le proverbe, « On attend beaucoup de ceux et celles à qui beaucoup est donné ». On s’attend à beaucoup du Conseil, parce qu’il est rare que les groupes militants aient autant de latitude pour agir. Ils sont assujettis aux conditions et objectifs des subventions qu’ils reçoivent. Le Conseil, lui, est régi par une loi qui stipule que c’est son devoir d’attirer l’attention du public sur les questions qui préoccupent les femmes et les filles, et qu’il manque à son mandat s’il n’agit pas de façon stratégique afin de représenter les femmes du Nouveau-Brunswick.

Où donc est le problème ?
Le gouvernement n’est pas talonné par le Conseil des femmes et ne s’en plaint guère. Le Conseil reste muet et les Néo-Brunswickoises, peu informées sur son existence, ne peuvent compter sur cet organisme pour corriger les situations parfois déplorables qu’elles vivent.
Certaines personnes, dont je fais partie, sont d’avis qu’une partie de la léthargie du Conseil découle de sa structure. Le Conseil a deux types de membres : des représentantes d’organismes, et des femmes. Comme d’autres organismes l’ont constaté, ce n’est pas là une formule facile, ou même démocratique, pour un groupe représentant des citoyennes et citoyens.
Présentement, le Conseil des femmes est composé de 7 citoyennes et 6 personnes représentant des groupes, dont deux assurent la coprésidence. Les associations membres sont le Conseil multiculturel du N.-B., le YWCA de Moncton, le Regroupement féministe du N.-B., Violence sexuelle N.-B., la Coalition pour l’équité salariale, ainsi que le NB Aboriginal Council. Notons que la sous-ministre adjointe du Bureau du conseil exécutif gouvernemental y siège également, tel que requis par la loi.
Comme on peut le constater, les groupes d’action qui se portent à la défense des femmes et des filles participent activement au sein du Conseil et connaissent son existence. Ils savent très bien que les Néo-Brunswickoises font piètre figure dans plusieurs domaines et que le Conseil des femmes, autonome et bien garni financièrement, devrait être leur porte-parole et leur défenseur. Mais les représentantes d’organismes membres du Conseil sont contraintes à une entente de confidentialité. Ce qui explique sans doute leur mutisme sur le peu d’envergure dont fait preuve le Conseil.
Dans un organisme formé à la fois de citoyennes et de personnes représentant des groupes, il surgit d’habitude des divergences d’intérêts. Par exemple, des représentantes de divers groupes peuvent vivre un conflit entre le bien commun des femmes et celui des personnes qu’elles représentent.
Il arrive également que les représentantes de groupes dans une telle structure, veuillent consulter leurs membres avant de prendre une décision. Elles ne sont donc pas libres d’agir comme des membres à part entière, libres de décider selon leur propre jugement.
Les défauts structuraux expliquent peut-être une partie du problème mais certainement pas tout. S’agit-il d’une confusion dans les rôles ? Y a-t-il un désengagement des membres, une peur de confrontation, d’ingérence ou un copinage « avantageux » avec le gouvernement. Les confidences qui me sont faites par d’anciennes membres font mention aussi d’une certaine lassitude face à un Conseil qui ne décolle pas.
Quand un organisme ne fait pas sentir sa présence, il devient plus facile pour un gouvernement de le faire disparaître sans crainte de réactions. C’est pour parer une telle attaque que j’écris ces lignes. J’ai été pendant longtemps employée du prédécesseur du Conseil des femmes, le Conseil consultatif sur la condition de la femme du NB. J’y étais lors de son abolition voilà presque 11 ans. Son abolition a été faite pour des raisons idéologiques selon moi. Les femmes ministres, à l’époque, ont appuyé la décision du ministre des Finances d’alors, Blaine Higgs. Il qui prétendait que l’égalité était atteinte et qu’il fallait choisir entre le financement du Conseil consultatif ou celui des maisons de transitions! La réaction des femmes et des groupes a été tellement forte que le gouvernement s’est empressé de créer le Conseil actuel, bonifié par la suite, avec un mandat et un budget appropriés. C’est ce dont a hérité le Conseil des femmes que nous avons aujourd’hui.
Un Conseil des femmes militant se rendrait vulnérable à être aboli parce qu’il dérange. Le Conseil actuel s’expose au même sort, mais parce qu’il ne dérange pas. Dans le premier cas, le blâme reposerait sur le gouvernement, alors que dans l’autre, seules les membres de l’organisme en seraient responsables.
Les temps ont changé mais le besoin d’une résistance féministe demeure criant au Nouveau-Brunswick.
Rosella Melanson est une féministe militante acadienne et blogueuse de Fredericton.