Les commissaires ont produit leur rapport et présenté des recommandations en vue de la révision de la Loi sur les langues officielles (LLO). Il en ressort nettement que leurs recommandations visent surtout à renforcer la mise en oeuvre de la LLO :
« Bien que nous ayons recommandé certaines modifications à la Loi même, la majorité de nos observations et suggestions ont trait à sa mise en application. » (p. 3). Même si d’autres révisions à la Loi auraient pu être recommandées, en plus de celles qui l’ont été par les commissaires, les commissaires ont décidé d’insister sur l’un des défis le plus importants qui entourent la LLO : sa mise en œuvre. L’analyse qu’ils font de la situation montre que l’ application de la LLO dépend de plusieurs facteurs périphériques à la Loi elle-même.
Les commissaires mentionnent notamment la tension sociale et politique qui plane au-dessus de la LLO : « À certains égards, la Loi et sa mise en application sont devenues une source de tension entre les deux communautés linguistiques, ce qui pourrait constituer un empêchement majeur pour le Nouveau-Brunswick de devenir une province véritablement bilingue. » (p. 2). Ce climat expliquerait pourquoi dans la sphère politique, on préfère éviter la question des langues officielles plutôt que de l’aborder franchement. Il semble exister une crainte chez les élus de subir des conséquences politiques s’ils mettent en œuvre des mesures progressistes en matière de bilinguisme. On note aussi la peur de représailles possibles auprès des membres de l’appareil gouvernemental et des citoyens de la province s’ils s’expriment sur le sujet. (p. 19).
Les commissaires mettent ainsi le doigt sur ce qui fait obstacle à une pleine mise en œuvre de la LLO. Ainsi, même si nous adoptions Loi la plus progressiste, sans les efforts pour sa mise en œuvre, et si une partie de la population s’y oppose, on risque de voir un fossé se creuser entre la société et la loi. Ce que souhaitent donc les commissaires, c’est qu’on mette en place une culture qui valorise le bilinguisme officiel dans la province.
Cela explique le rejet par les commissaires des commentaires reçus remettant en question la LLO. C’est ce qu’ils ont fait en affirmant clairement « le bilinguisme comme fondement de notre province » (p. 19), puisqu’il est enchâssé dans la Constitution. Mais ce fondement de nature juridique doit se refléter dans la culture et les attitudes de la population. Les langues officielles doivent devenir une source de fierté plutôt que de malaise.
Les commissaires souhaitent donc changer le climat qui entoure la LLO. « Il est impératif de mettre tout en œuvre pour changer ce climat en mettant l’accent sur les avantages du bilinguisme. » (p 19). Pour ce faire, leurs propositions reposent sur trois piliers : l’organisation, la communication et l’engagement. Concernant l’organisation, ils recommandent de renforcer la gouvernance qui entoure les langues officielles en créant un ministère qui en serait responsable, ainsi qu’un comité législatif permanent. La première tâche du ministère des langues officielles serait de planifier et établir « une nouvelle culture organisationnelle qui profiterait aux deux communautés linguistiques. » (p. 22).
Par ailleurs, les commissaires proposent d’élaborer un plan de communication qui vise à mieux faire connaître la loi, sa raison d’être et les progrès accomplis dans les langues officielles. Une campagne qui valorise le bilinguisme est souhaitée afin que les langues officielles demeurent d’actualité de manière positive et deviennent une source de fierté.
Enfin, les commissaires souhaitent voir un engagement des élus et de la population envers la LLO. Les élus doivent faire preuve de leadership et la création d’un comité permanent sur les langues officielles leur fournirait un espace où ce leadership pourrait s’exprimer. Ils pourraient y traiter des questions pertinentes aux langues officielles, au fur et à mesure qu’elles se présentent, et par le fait même, faire un travail de communication.
La question qui se pose est de savoir comment pouvons-nous changer la culture politique, sociale et organisationnelle entourant les langues officielles? Comment pouvons-nous obtenir un leadership soutenu et adéquat de la part des élus et des hauts fonctionnaires des ministères et agences gouvernementales, qui ont l’obligation de mettre en œuvre la LLO et de la respecter? La LLO reconnaît certains droits et prescrit certaines obligations. Toutefois, il n’y a aucunes conséquences si elles ne sont pas respectées. Or, aucune recommandation des commissaires ne porte sur d’éventuelles pénalités en cas de non-respect de la LLO. Le leadership attendu et souhaité de la part des élus et des hauts dirigeants repose donc sur leur bonne volonté.
En fait, les commissaires misent sur le dialogue, l’interaction et la compréhension (p. 41). Ils misent notamment sur les recommandations du 2e rapport, à venir, et qui vise à accroître le bilinguisme individuel : « plus les Néo-Brunswickois pourrons [sic] comprendre et communiquer dans les deux langues officielles, moins les défis liés à la mise en application de la Loi seront grands. » (p. 41). Une grande partie de leur vision repose sur un changement de culture, d’attitude et de perception à l’égard de la LLO et suppose un engagement des élus « qui doivent s’unir pour faire preuve d’un dévouement inébranlable et non partisan à l’égard de la mission quant aux langues officielles. » (p.41).
Cela me semble des vœux pieux, comme celui de demander que « Le premier ministre, en tant que responsable de la Loi, quel que soit le gouvernement élu, doit assumer pleinement ce rôle en signalant aux élus, aux fonctionnaires ainsi qu’à la population en général que cette mission est importante pour notre identité et notre réussite globale. » (p. 42). Comme on le constate avec le gouvernement actuel, un premier ministre peut très bien ignorer ce rôle de leadership et ne pas profiter de sa fonction pour appuyer la Loi. Ce manque de leadership influence indéniablement les hauts dirigeants qui ne sentent pas de pression pour mettre pleinement en œuvre la Loi.
Ainsi, même si on adoptait les changements proposés par les commissaires concernant la LLO, l’atteinte de ces objectifs, menant à une meilleure application de la Loi, repose en grande partie sur un changement de culture et d’attitude, des facteurs qui échappent à la LLO et à sa mise en œuvre. En effet, telle qu’elle est, la Loi n’oblige pas le premier ministre à l’appuyer fermement et sans ambiguïté. Elle ne peut pas contraindre les hauts fonctionnaires à exercer un leadership envers la LLO. Elle ne peut, à elle seule, mener à un meilleur climat social, à une culture et des perceptions positives à l’égard des langues officielles. Cela renvoie à des dimensions politiques, culturelles et sociales qui peuvent sembler difficiles à saisir, mais qui n’en demeurent pas moins essentielles. En ce sens, les commissaires nous invitent à entamer un véritable dialogue sur les langues officielles. Or il est étonnant que le rapport ne mentionne pas le rôle que pourrait jouer l’organisme Dialogue NB. Il est tout aussi étonnant que le rapport offre peu de solutions précises pour atteindre ce changement culturel à l’égard des langues officielles. Dans un contexte de tensions sociales, ce type de démarche, fondée sur le dialogue et la communication, doit faire appel à une expertise. Les campagnes de promotion ponctuelles ne suffiront pas. Il faudra mettre en place une démarche soutenue et encadrée, fondée sur une expertise, afin d’entamer un dialogue, qui sera par moments difficile. Étant donné le risque politique qui peut être associé à ce type de démarche, il faudra la dépolitiser. C’est ici qu’un organisme comme Dialogue NB peut intervenir.
Les commissaires nous ont mis sur une piste qui mérite d’être suivie afin de “développer dans toute la population du Nouveau-Brunswick, qu’elle soit unilingue francophone, anglophone, allophone ou bilingue, un sentiment de fierté de vivre au Nouveau-Brunswick tout en acceptant et en respectant nos différences.» (p. 19). Mais il ne faut pas se faire d’illusions, il s’agit d’un vaste chantier qui demande leadership, engagement durable, ressources et expertise, car le changement culturel souhaité n’est possible que si les rapports sociaux entre les groupes linguistiques se transforment de façon équitable.
Éric Forgues est sociologue et chercheur, il s’intéresse aux minorités linguistiques, la vie démocratique et à la justice sociale.