Il semblerait que tout le monde au Nouveau-Brunswick ne parlent que des petites maisons.
La semaine dernière, l’entrepreneur de Fredericton Marcel LeBrun a partagé la scène avec le ministre du développement social Bruce Fitch, et la députée fédérale de Fredericton Jenica Atwin, lorsqu’ils ont annoncé l’octroi de 1,4 millions de dollars en prêt à remboursement conditionnel pour le développement de 96 petites maisons. La compagnie 12 Neighbours appartenant à Marcel LeBrun est un organisme sans but lucratif qui fournira des logements abordables pour 100 à 200 personnes à Fredericton, ce qui n’est pas négligeable.
Les 36 premières maisons devraient être opérationnelles bientôt. Les locataires ne paieront pas plus de 30 % de leur revenu en loyer, soit le seuil d’abordabilité de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). La différence de loyer sera couverte par le programme provincial de supplément au loyer.
Bien que les petites maisons puissent offrir un logement abordable à certains, ce modèle n’est pas sans limites. Des limites qui méritent d’être examinées attentivement, alors que la popularité des petites maisons augmente et que la crise du logement s’aggrave.
Les petites maisons sont apparues dans les années 2010 comme une alternative verte (peut-être pas si verte que ça) et minimaliste à l’étalement des banlieues dans le sillage de la crise de 2008.
Les municipalités, principalement aux États-Unis, se sont tournées vers les petites maisons pour fournir des logements aux personnes sans abri. Les communautés canadiennes ont récemment suivi le mouvement, la dernière en date étant Fredericton.
Les maisons de M. LeBrun présentent des caractéristiques positives. Elles seront isolées et reliées au réseau électrique et au système d’égouts de la ville – une caractéristique essentielle qui manque à de nombreux villages de petites maisons dans d’autres régions d’Amérique du Nord. Le projet prévoit des services intégrés, ce qui signifie que les résidents seront soutenus par une équipe de travailleurs sociaux, de conseillers et d’autres professionnels.
Toutefois, M. LeBrun a reconnu lors de la conférence de presse que ces maisons ne peuvent accueillir qu’une ou deux personnes à la fois et qu’elles ne sont pas destinées aux familles ou aux enfants. Cela signifie que les locataires de la communauté de 12 Neighbours qui souhaitent avoir des enfants ou vivre avec leurs enfants devront probablement partir.
Les femmes, qui, en tant que groupe, assument une plus grande part du travail parental, seront exclues de manière disproportionnée de ce modèle. Pourtant, les femmes monoparentales de la province connaissent certains des taux les plus élevés de logements inabordables. En général, les parents sont victimes de discrimination sur le marché locatif. En effet, près de 20 % des locataires qui ont répondu à l’enquête sur le marché locatif de la province en 2021 ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas trouver de logement parce qu’ils avaient des enfants.
Vivre dans des espaces minuscules peut également comporter des risques pour la santé, notamment un risque spécifique de causer des problèmes psychologiques. Il n’est pas facile de faire tenir sa vie dans une boîte de 250 pieds carrés. Dans une tribune publiée dans le New York Times, un résident d’un « micro-appartement » a dressé un tableau plutôt sombre de ce à quoi peut ressembler la vie dans un logement minuscule. « Ici, même les odeurs prennent de la place », écrit Gene Tempest, l’auteur.
Ces limitations suggèrent que le projet n’est pas un projet de Logement d’abord, mais un projet de logement de transition. Pourtant, il a été positionné dans le cadre de la philosophie du logement d’abord, fondée sur des preuves, qui préconise un logement permanent comme première étape immédiate pour résoudre le problème du sans-abrisme.
Sans surprise, Barbara Poppe, une experte de premier plan et conseillère de la Maison Blanche d’Obama sur le sans-abrisme, a déconseillé à la ville de Seattle de financer les petites maisons (ils l’ont fait quand même), affirmant que l’argent serait mieux dépensé dans des logements permanents. De même, l’Observatoire Canadien sur l’itinérance soutient que « tout projet de logement social utilisant le modèle [des petites maisons] devrait… l’offrir comme une option uniquement à ceux qui seraient intéressés par ce type de vie. »
Il reste à voir si le projet de LeBrun survivra aux problèmes auxquels d’autres villages de petites maisons ont été confrontés. Son projet, avec ses raccordements à l’électricité et aux égouts, s’attaque à des problèmes clés. Des recherches suggèrent que les projets de petites maisons sont prometteurs pour lutter contre le sans-abrisme s’ils peuvent soutenir une communauté forte, obtenir le soutien du public, obtenir un financement avec peu de restrictions et garantir un logement abordable pour les individus lorsqu’ils quittent leur petite maison.
Mais où iront les gens lorsqu’ils quitteront les petites maisons de LeBrun ?
Les Fiducies de placement immobilier, (FPI) et d’autres propriétaires prédateurs, sont déterminés à extraire autant de revenus locatifs qu’ils peuvent du marché extrêmement non réglementé du Nouveau-Brunswick. Une seule FPI prévoit retirer 1 300 unités du marché du logement abordable pour les transformer en propriétés à revenu locatif élevé.
En même temps, nous entendons parler de hausses astronomiques de loyer presque chaque semaine, alors qu’il reste près de 6 000 ménages sur la liste d’attente des logements abordables.
Le principal problème auquel le Nouveau-Brunswick est confronté, comme l’ont souligné des universitaires, est la financiarisation du logement, et non un manque d’offre. Les gouvernements peuvent dépenser autant d’argent qu’ils le souhaitent dans le problème par le biais de programmes comme les suppléments au loyer, mais sans contrôle efficace des loyers, ces programmes fonctionnent comme un transfert de richesse aux propriétaires qui n’ont aucune raison de maintenir les loyers à un niveau bas.
Et comme l’a fait valoir la sociologue Kristi Allain de l’université St. Thomas, la solution populaire mais simpliste consistant à réduire la fameuse « double taxe » ne fonctionnera pas.
Les auteurs de cet article espèrent sincèrement que la compagnie 12 Neighbours pourra surmonter les obstacles auxquels des projets similaires ont été confrontés dans le passé, et que les locataires s’épanouiront avec la « dignité, la communauté et l’opportunité » promises.
Mais nous voulons mettre en garde les preneurs de décisions contre la conclusion erronée, selon laquelle nous pouvons sortir de la crise du logement en construisant de petites maisons.
Aditya Rao est un avocat des droits de la personne basé à Fredericton. Tobin LeBlanc Haley, Ph.D., est une chercheuse engagé dans la communauté et une professeure adjointe à l’Université du Nouveau-Brunswick à Saint Jean. Ils sont membres fondateurs de la Coalition pour les droits des locataires au N.-B.