Je me suis penché récemment sur les questions relatives à la résistance aux vaccins. Il me semble de plus en plus facile d’étiqueter tous les anti-vaccins comme étant simplement bêtes, même si cela semble être souvent le cas.
En fait, il y a beaucoup d’anti-vaccins intelligents ; il y en a aussi qui s’y opposent pour des raisons religieuses. En tant qu’humaniste laïque, je considère parfois la religion comme un ensemble de mythes et superstitions. Cependant, malgré tous les problèmes qu’elle cause, je crois aussi que la foi religieuse apporte une contribution positive à certaines vies dans le monde : c’est une force positive dans l’ensemble et, par conséquent, les objecteurs de conscience ne devraient pas être considérés simplement comme des « grenouilles de bénitier. »
Comment aborder ce profond clivage sans juste lancer des insultes ?
Civitas
Un obstacle important à un débat plus équilibré et sensé est qu’une grande majorité de la population a des lacunes dans ce que l’on appelait autrefois le civisme. Peu de gens sont capables d’énumérer leurs droits et responsabilités dans une société démocratique libérale et encore moins d’en expliquer les implications. En ce qui concerne le virus COVID-19, ce manque de compréhension a produit une vision téléologique de l’évolution et de la signification de la démocratie.
Dès le départ, la démocratie, dans ce qu’elle a de meilleur, s’est construite sur le double fondement de préserver les libertés individuelles et promouvoir le bien public. Cette éthique des droits et des responsabilités est ancrée dans le principe romain de civitas.
Selon ma lecture, la civitas est un paradoxe ; la construction de la communauté et le consensus doivent être constamment négociés dans le contexte d’une tension dynamique entre les deux. Les droits individuels ne sont pas immuables mais plutôt fixés dans le temps et l’espace. Les gouvernements limitent, suspendent ou modifient régulièrement les libertés civiles au nom du bien public.
Par exemple, je possède une arme à feu légale et dûment déclarée et, au cours de ma vie, je n’ai jamais commis de crime. Si je ne suis manifestement pas une menace, pourquoi ne puis-je pas apporter mon arme en avion ? Je ne peux le faire parce qu’il y a une loi qui l’interdit. Il s’agit d’une restriction de mes droits qui découle d’un consensus sociétal : le bien public est plus important que ma liberté individuelle. Personne ne se plaint de cela. Pourtant, les défenseurs des droits des armes à feu pleurent comme des bébés qui ont la colique et s’attendent à ce que le gouvernement leur retire leur tétine dès que des réformes sensées, comme l’interdiction des armes d’assaut, sont proposées.
Néolibéralisme
Le néolibéralisme n’est pas une philosophie politique mais un ensemble élaboré d’excuses pour perpétuer et défendre les inégalités économiques et servir les intérêts financiers des élites aisées. Sa proposition est que les droits individuels, plus particulièrement le droit d’accumuler de la richesse sans entrave, doivent être maintenus au-delà de tous les autres.
Il n’y a pas de responsabilités envers la communauté dans un monde néolibéral. Il s’agit également, tant au niveau conceptuel que pratique, d’une attaque frontale contre l’état central (national et provincial).
Tout comme l’émergence de l’État activiste keynésien était une réponse à l’effondrement économique qui a produit la Grande Dépression, l’État néolibéral est une réponse à la “ stagnation “ des années 1970 et à la chute du taux de profit au niveau global. Cela a commencé aux États-Unis au début des années 1980 avec des événements tels que l’enlèvement des panneaux solaires du toit de la Maison Blanche et la répression des contrôleurs aériens en grève par l’État. Au Canada, à la même époque, le gouvernement conservateur de Mulroney a cannibalisé les sociétés d’État, surtout les entreprises publiques qui étaient prospères et contribuaient au trésor public.
L’accent mis sur les droits individuels et la diminution, ou le rejet, de l’idée que le gouvernement a un rôle à jouer dans la promotion du bien public, ont été transformés en une prophétie auto-réalisatrice par le serpent à deux têtes de la déréglementation et de la réduction des programmes sociaux. En fin de compte, nous obtenons un capitalisme monopolistique d’état avec un cadre politique qui considère les programmes sociaux comme un danger clair et présent tout en prônant le bien-être des entreprises comme naturel et souhaitable.
Ce système fournit un refuge pour l’accumulation des excès en maintenant un niveau de militarisation qui est hors de proportion avec les menaces que la société doit affronter de la part des « autres. » Dire cela revient à condamner de manière simpliste et amère le fait que l’on ne soutient pas les militaires. Pour info : la plupart des militaires sont des travailleurs éloignés de leur famille qui effectuent un travail très dangereux et portent en eux la conviction sincère qu’ils contribuent au bien public. Lorsqu’ils rentrent chez eux en tant qu’anciens combattants, ils font face à des programmes inadéquats pour répondre à la myriade de problèmes physiques, psychologiques et financiers qui les accablent.
Les néolibéraux ont toléré et soutenu Donald Trump même lorsqu’il s’est tenu dans un cimetière rempli de soldats tombés au combat et les a traités de nuls et de « losers “, parce qu’il a continué à débiter la mauvaise logique, selon laquelle toute personne qui suggère un niveau proportionnel de préparation et de réponse aux crises impliquant une action militaire est un traître anti-américain. L’économie d’usine du Canada se nourrit du complexe militaro-industriel des États-Unis et, par conséquent, perpétue ce type d’idées profondément erronées.
Le Nouveau-Brunswick
Le Nouveau-Brunswick est un endroit spécial où il fait bon vivre, rempli de gens talentueux et intelligents qui ont leur communauté à cœur. C’est aussi une oligarchie industrielle dirigée par une société de ressources qui dicte presque publiquement ses politiques au gouvernement provincial. Les partis au pouvoir ne se distinguent pas sur le plan philosophique et ne sont souvent pas pertinents, sauf pour maintenir une façade de processus démocratique.
Ces conditions expliquent en grande partie comment le premier ministre Higgs (un cadre de carrière de l’empire Irving) a pu refuser d’envisager l’idée d’augmenter les redevances foncières de la Couronne sur le bois lorsque le prix de vente du bois et des produits du papier a connu une hausse sans précédent pendant la pandémie (plus de 200 %), même si les redevances de la Couronne sont censées être liées au marché.
Au même moment, le gouvernement conservateur a annulé une entente de 25 millions de dollars sur le partage de la taxe sur l’essence avec les communautés autochtones, sous prétexte qu’il s’agissait d’un droit inutile que la province ne pouvait plus se permettre.
Tant que nous nous soumettrons à l’oligarchie industrielle et au gouvernement parodique, la province sera freinée et démoralisée par la tornade de merde géante, abrutissante et oppressante, qui ravage notre sens de la communauté.
Nous ne serons jamais en mesure de nous défaire de notre dépendance aux énergies fossiles ou d’atteindre les objectifs de réduction des changements climatiques, nous ne ferons jamais d’effort sincère de paix et de réconciliation avec les Premières nations et nous ne tirerons jamais de valeur des forêts de la Couronne. Nous ne financerons jamais adéquatement les soins de santé, l’éducation et les programmes d’aide aux plus vulnérables de notre province : les personnes âgées à faible revenu, les sans-abri souffrant de troubles psychologiques, les personnes dépendantes aux produits chimiques et les personnes et les familles qui font quotidiennement face à l’insécurité alimentaire, par exemple.
Les néolibéraux, surtout ceux qui travaillent dans le secteur privé, considèrent cela comme tout à fait acceptable et comme un signe de progrès. Le reste d’entre nous voit cela comme une honte cruelle.
Le mouvement anti-vaccin
Placé dans ce contexte, le mouvement anti-vaccin est une manifestation culturelle du néolibéralisme. Il est alimenté par la révolution des technologies de la communication. Internet peut être un outil merveilleux et puissant ; il a joué un rôle précieux en atténuant la solitude des gens pendant la pandémie. Simultanément, il a été une fosse septique de ressentiment, de désinformation et de théories du complot perpétrés par les néolibéraux et les groupes d’extrême droite.
Internet a produit un effet de nivellement, à la fois dans le rejet de la notion d’expertise et dans l’idée que toutes les opinions, politiques ou autres, se valent.
Les personnes anti-vaccins que je connais me disent qu’elles ont fait une “plongée en profondeur” sur Internet pour étudier les questions relatives à la COVID-19 sous toutes ses coutures. Je leur réponds que je considère qu’une plongée en profondeur consiste à rédiger une thèse de doctorat et/ou à passer des décennies à faire des recherches et à enseigner sur ces questions. Je connais mes propres limites et je compte sur des personnes bien formées dans le milieu de la recherche médicale pour me guider.
Les anti-vaccin répondent généralement en me disant qu’ils sont intelligents eux aussi. Je n’en doute pas mais, dans ce cas précis, ils se sont laissés emporter par la propagande néolibérale constante selon laquelle « le gouvernement ne peut rien faire de bien » et que personne ne devrait croire ce qui en émane.
Ensuite, ils prennent leurs billets gratuits pour le carnaval virtuel de la désinformation, afin de faire le tour de la maison des plaisirs que procure le biais de confirmation, de hurler dans la chambre d’écho des mythes néolibéraux et de manger une délicieuse assiette de faux équivalents. Ce que ces gens défendent, ce n’est pas tant une liberté individuelle importante que le droit d’être délibérément ignorant. C’est un choix personnel plus qu’un droit inaliénable.
Que faudrait-il faire ?
Comment notre société concilie-t-elle les droits individuels et le bien public en période de pandémie ? La réponse peut se résumer en un mot : mal.
Plus de 80 % des Canadiens admissibles se sont fait vacciner, un consensus extrêmement solide selon les normes démocratiques. Il y a environ 15 pour cent des citoyens qui refusent de participer. Ils sont prêts à se mettre eux-mêmes, ainsi que leur famille et le grand public, en danger pour défendre des libertés individuelles qu’ils connaissent peu, ou pas du tout, généralement. L’éducation ne fera pas vraiment bouger les choses sur cette question particulière, car la plupart des anti-vaccin croient qu’ils comprennent la question et souscrivent à un ensemble de « faits alternatifs. »
Ces dernières semaines, j’ai lu un large éventail de propositions visant essentiellement à forcer les non-vaccinés à se conformer, certaines émanant de personnes qui en savent plus que moi sur ces questions. La plupart des propositions semblent nées de la colère et contiennent un certain niveau d’action punitive.
En tant que société, nous devons nous préparer bien mieux que nous ne l’avons fait cette fois-ci, car il est possible qu’un virus ou une maladie bien pire encore se déclare.
La pandémie de grippe de 1918 a tué entre 50 et 100 millions de personnes pour une population mondiale d’un peu moins de 2 milliards. En 2020, la planète compte environ 7,7 milliards d’habitants. Si nous avons une pandémie proche de celle de 1918, le nombre de morts sera d’au moins un quart de milliard. Cela signifierait que des camions circuleraient avec des cadavres, les glissant dans des fosses ouvertes brûlantes à la décharge.
Si l’on considère la situation sous cet angle (nous approchons du million de décès au Canada et aux États-Unis), l’une des caractéristiques de la pandémie de COVID-19 est l’énorme compassion et la tolérance dont a fait preuve la majorité de la population envers les personnes non vaccinées.
Cependant, il y a un changement dans l’esprit des vaccinés qui se reflète dans le discours sur la répression des non-vaccinés. À cet égard, autant l’atmosphère festive que la nature et l’intention incompréhensible de l’actuel convoi de camionneurs ont été fondamentales.
Avec un peu de chance, nous arrivons à la fin de la phase la plus dévastatrice de la pandémie et la colère croissante pourrait se limiter à la rhétorique. Toutefois, si nous sommes confrontés à une autre pandémie dans les 50 prochaines années et si les gouvernements ne disposent pas d’un éventail de mesures draconiennes, certes déplaisantes, le chaos s’installera rapidement et douloureusement.
Un accord doit être trouvé entre les personnes qui pensent que la vaccination est une responsabilité envers leurs familles et leurs communautés et celles qui considèrent les règlements de vaccination obligatoires comme une violation de leurs droits. Les vaccinés doivent adopter la position des anti-vaccins: nous ne nous soucions pas tant que ça de vous.
Ma suggestion est de réviser les lois sur les mesures d’urgence au niveau gouvernemental approprié pour permettre une réponse. Lorsqu’une pandémie se déclare et que suffisamment de données médicales fiables ont été accumulées, le gouvernement (le véhicule pour articuler l’intérêt public), devrait émettre un document à tous les citoyens en âge de voter qui, comme un formulaire d’impôt sur le revenu, doit être rempli et retourné.
Le formulaire devrait, dans un langage simple, expliquer les dangers de la maladie et donner aux gens le choix de chercher ou non le traitement convenu. Il devrait expliquer clairement que la décision de ne pas se faire vacciner ou de ne pas suivre les autres traitements recommandés peut avoir des conséquences si vous contractez la maladie et devez être hospitalisé.
La grande majorité des membres d’une communauté sont prêts à préserver le droit individuel de choisir que nous tenons pour sacré, même s’il présente des dangers inutiles. Cependant, pour préserver le plus grand nombre de vies possible, nous ne pouvons plus vous traiter sur un pied d’égalité lorsque vous arrivez à l’hôpital.
De telles mesures constituent une dangereuse atteinte à la bioéthique de l’hospitalisation et doivent être évitées, mais pas à tout prix. Il faut dire clairement à ceux qui refusent le traitement : vous représentez un risque pour la population, nous ne pouvons pas nous permettre de vous laisser être un danger pour les autres patients et surtout pour le personnel médical de première ligne.
L’expérience de COVID-19 a donné lieu à une situation où les personnes non vaccinées ont occupé les lits des unités de soins intensifs en nombre tout à fait disproportionné par rapport au pourcentage de citoyens éligibles à la vaccination. Cela a contribué de manière significative à la pénurie critique d’infirmières et d’autres personnel médical dans chaque province. Pour cette raison, plusieurs fois, plus de Canadiens sont morts (pas seulement de COVID-19) en attendant un traitement pendant la pandémie que chaque année au cours de la décennie précédente.
Il n’y a pas de retour à la normale à la fin. Si cela se reproduit, nous devrions honorer les libertés individuelles des anti-vaccins, mais refuser d’accepter qu’elles incluent le droit de nuire aux autres.
Bill Parenteau est un professeur d’histoire récemment retraité de l’Université du Nouveau-Brunswick qui a fait des recherches sur l’économie politique et l’histoire environnementale du Canada atlantique. Il est un commentateur public fréquent des questions relatives à l’industrie forestière et participe à des affaires de droits fonciers et de traités autochtones.