La Loi canadienne sur la santé garantit, en principe, le droit à tous les Canadien.ne.s d’obtenir des services de santé de la même qualité, peu importe leur capacité de payer. Tout le monde est sur le même pied d’égalité, et il suffit de présenter sa carte d’assurance-maladie pour se faire soigner. À partir du moment où il faut payer pour obtenir un service de santé, le principe d’accessibilité et d’universalité inscrit dans la Loi est compromis, car cela désavantage les personnes qui n’ont pas les moyens de le payer.
Malheureusement, le secteur privé occupe une place de plus en plus grande dans les services de soins de santé. Nous sommes déjà habitués à cela dans le domaine de la santé mentale, où, hélas, la majorité des intervenant.e.s relèvent du secteur privé. Les personnes dont le revenu est insuffisant pour pouvoir payer 150 $ l’heure pour une consultation doivent donc se priver de ce service, essentiel à leur bien-être. Dans le réseau de santé publique, à moins d’être suicidaire ou de souffrir d’une grave maladie mentale, il est pratiquement impossible d’avoir accès à des soins psychiatriques ou psychologiques.
Certaines entreprises offrent un programme d’aide à leurs employées et employés pour consulter des psychologues, physiothérapeutes et autres professionnel.le.s, moyennant une assurance maladie privée collective (par exemple la Croix Bleue Medavie), dont les frais sont partagés entre l’employeur et l’employé.e. Ces compagnies d’assurances offrent aussi une panoplie de services de santé que les personnes n’ayant pas d’assurance privée doivent payer entièrement de leurs poches. Dans bien des cas, elles n’en ont tout simplement pas les moyens, et s’en privent, au risque de voir leurs problèmes s’aggraver. C’est ce qui explique en partie pourquoi pauvreté et maladie vont souvent de pair.
Les personnes qui n’ont pas d’assurances privées sont clairement désavantagées par rapport aux autres. Or de plus en plus de cliniques privées, offrant entre autres, accès à des consultations médicales et des chirurgies, voient le jour au Nouveau-Brunswick. La clinique Proxyma Care se targue sur son site Web d’être une pionnière dans le domaine : « Nous améliorons l’accès et nous diminuons le temps d’attente », moyennant des frais « abordables ». Abordables pour qui ? Cette clinique est un exemple parmi d’autres, et toutes attirent des médecins, des infirmières, et d’autres professionnel.le.s de la santé en leur offrant de meilleures conditions de travail. Résultat : de plus en plus d’entre eux et elles quittent le système public pour intégrer une clinique privée, ce qui a pour effet d’aggraver la pénurie de main-d’œuvre dans les réseaux publics. Plus le privé prend de place, plus nous avons un système de santé à deux vitesses, qui profite évidemment aux mieux nantis.
La gestion des services de santé est elle aussi de plus en plus transférée du secteur public vers le secteur privé. Cela peut sembler anodin, mais à y regarder de près, c’est loin de l’être. Au Nouveau-Brunswick, on a privatisé la gestion des services d’ambulance, puis l’extra-mural, puis le 811 et Télé-Soins. La compagnie d’assurance et de gestion Croix Bleue Medavie a donc de plus en plus accès à des données sur la santé de la population. En effet, ces données sont très intéressantes pour une compagnie d’assurances, ne serait-ce que pour établir des profils de la population selon toutes sortes de critères. Ces profils peuvent ensuite être vendus à des firmes qui ont intérêt à les connaître. C’est une situation pour le moins inquiétante, puisqu’elle met à risque la confidentialité des données médicales de la population.
En plus de coûter plus cher au gouvernement, un autre aspect pernicieux de la privatisation de la gestion des services de santé, c’est la difficulté d’obtenir des renseignements quant à la qualité de ces services, ou de pouvoir exiger d’en obtenir de meilleure qualité lorsque la population se dit insatisfaite. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la qualité des services et des soins est toujours meilleure lorsque le secteur public en assure la régulation, le financement et la dispensation. Un chercheur de l’Institut de recherche sur la santé publique de l’Université de Montréal précise que « Dans tous les pays qui financent leurs soins de façon privée, on voit une augmentation des coûts » relatifs à l’administration du système.
La ministre de la Santé, Dorothy Shephard, se dit ouverte à laisser Croix Bleue Medavie, et d’autres du secteur privé gérer davantage le système. La réforme de la santé qu’elle a annoncée en novembre dernier a vu l’instauration, en partenariat avec l’entreprise eVisitNB, fondée par deux médecins, d’une plateforme en ligne centralisée de consultations virtuelles, accessibles par téléphone, vidéo ou messagerie. Le fait que ce soit une autre compagnie privée, Maple, qui gère la plateforme de eVisitNB, n’est pas non plus très rassurant. Ce service était d’abord payant, mais dans le cadre d’un projet pilote jusqu’en mai 2022, la province en assume maintenant les coûts et on peut y accéder en donnant son numéro de carte d’assurance-maladie. Le gouvernement y voit LA SOLUTION à la pénurie de main-d’œuvre, à l’accessibilité des soins et au désengorgement des services d’urgence.
La rapidité et l’efficacité de ce service sont mises de l’avant. Tant mieux si ces consultations peuvent permettre de résoudre rapidement des problèmes mineurs au téléphone, mais pour des problèmes plus sérieux, eVisitNB ne peut que recommander à la patiente ou au patient de consulter un.e spécialiste. Le eVisitNB, c’est un peu comme le 811, version légèrement améliorée, car, sans connaître l’historique des patient.e.s, sans avoir la possibilité de leur faire passer des examens plus approfondis, comment savoir, par exemple, si un mal de tête est bénin ou urgent?
La continuité des soins prodigués au NB ne peut pas être assurée par un service comme eVisitNB. Pourtant, c’est un élément essentiel à leur qualité, d’où l’importance d’être suivi par un.e médecin de famille. eVisitNB ne peut offrir que des soins discontinus et expéditifs, avec tous les risques que cela comporte. Oui, les consultations virtuelles ont leur place et peuvent être très efficaces dans certaines circonstances, mais il ne faudrait pas en abuser. Combien de profit cela rapporte-t-il à ces entreprises? Cet argent, faut-il le rappeler, vient de nos taxes et de nos impôts.
Et le français dans tout cela? À en juger par la qualité des traductions de son site Web, il n’y a pas de quoi se péter les bretelles. Certaines sections ne sont carrément pas traduites, alors que d’autres laissent à désirer, comme « obtenez vos laboratoires », « une note de maladie » ou « fréquentement demandé questions ». Les francophones de la province sont desservis par de tels services.
Bref, plus le privé s’infiltre dans le secteur de la santé, plus cela va coûter cher et plus la qualité des soins dépendra de la grosseur du portefeuille de ceux et celles qui en ont besoin. Est-ce vraiment vers cela que nous voulons aller au Nouveau-Brunswick?
Bernadette Landry est membre du comité sur la santé de l’Association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick.