La Ville de Moncton a récemment publié son Plan d’action pour la sécurité du public et du centre-ville qui élabore les solutions recommandées par un groupe très spécifique d’individus à l’égard de leurs inquiétudes démesurées envers des personnes qui poseraient un risque à leur sécurité. Il est important ici de savoir que les inquiétudes soulevées par ce groupe découlent de quatre assemblées citoyennes tenues dans l’ouest de Moncton à la suite de la rédaction d’une pétition. Nous pouvons présumer que selon le plan qui en est ressorti, les solutions explorées se centraient autour d’opinions discriminatoires et non représentatives des besoins réels de la communauté. Il est impératif que la Ville de Moncton se questionne quant à la représentativité citoyenne et à l’accessibilité de ces discussions à la population générale.
Bien que le thème de la sécurité semble être central à l’élaboration de ce plan, il suffit d’examiner les premières solutions proposées pour réaliser que le but n’est pas d’assurer la sécurité de l’ensemble du public, mais plutôt d’éradiquer complètement la situation d’itinérance et la précarité urbaine, ainsi que les personnes qui en sont touchées. Sans aucune mention des facteurs sociosystémiques qui maintiennent cette crise, soit l’inaccessibilité aux services essentiels (notamment en santé mentale), la gentrification, le manque de logement abordable, la violence faite aux femmes et aux minorités de genre, le racisme systémique, l’inflation exponentielle et plus encore, ce plan déraille complètement de l’objectif initial, car la sécurité va bien au-delà de l’itinérance et de la criminalité. Plusieurs de ces recommandations sont le résultat d’une réflexion générée par de nombreux stéréotypes et préjugés qui mettent en lumière l’incompréhension, voire la haine à l’égard des personnes qui sont clairement visées par le plan, bien qu’elles ne soient pas nommées explicitement.
L’augmentation de la judiciarisation : à quoi s’attendre réellement ?
Des mesures telles que l’augmentation de la présence des forces policières et de la patrouille citoyenne dans les quartiers, l’application d’arrêtés municipaux sur la mendicité et la création d’une plateforme de signalement à l’intention des résident.e.s, des commerces et des entreprises pour lancer des interventions immédiates ne sont qu’un aperçu de ce que la Ville de Moncton nous réserve pour résoudre le problème.
Bien que l’augmentation de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance soit susceptible d’évoquer un sentiment d’insécurité pour certain.e.s, les forces policières ne sont pas formées pour intervenir spécifiquement auprès des personnes ciblées par ce plan de sécurité. Au contraire, l’augmentation de la judiciarisation (souvent injustifiée) aura des effets désastreux sur l’efficacité des stratégies existantes pour contrecarrer les facteurs de risques, des stratégies qui peuvent avec le temps briser le cycle d’itinérance.
Les solutions proposées augmentent la responsabilisation individuelle de la situation socioéconomique de ces personnes, même si l’origine du problème est largement hors de leur contrôle. L’idée de mettre en place une plateforme citoyenne de signalements n’est qu’un stratagème permettant d’inciter les forces policières à dégager, ou même à expulser les personnes en situation d’itinérance à partir du simple principe qu’elles sont perçues comme indésirables et problématiques dans la vie quotidienne de certain.e.s. Le renforcement des lois, des règlements et des arrêtés municipaux actuels, tout comme ceux à venir, peut sembler neutre à première vue, mais risque pourtant d’empêcher des personnes en situation d’itinérance de combler les besoins essentiels à leur survie, tel que dormir, maintenir une hygiène et se nourrir, seulement parce qu’elles ne disposent pas d’un domicile fixe.
Voir au-delà de la criminalité : ne pas confondre sécurité et criminalité
Ce n’est pas en demandant au Canadian National (CN) de rendre les couloirs ferroviaires plus sécuritaires, en augmentant la présence policière dans les écoles, en installant des panneaux indicateurs qui promeuvent la patrouille citoyenne, en diminuant la visibilité de paniers d’épiceries dans les rues de Moncton ou en augmentant la présence de caméras de surveillance dans les « quartiers problématiques » qu’un sentiment de sécurité citoyenne sera atteint. C’est plutôt en s’attaquant au manque criant de logements abordables, à la gentrification, à l’iniquité salariale, au sous-financement chronique et à l’inaccessibilité aux institutions d’éducation postsecondaire, à la crise sociosanitaire, à la violence faite aux femmes et aux minorités de genre, à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la santé, au manque de services en santé mentale communautaire qu’on y arrivera. Ce sont ces problèmes sociaux, parmi tant d’autres, qui menacent directement la sécurité citoyenne à Moncton. Par conséquent, les fonds dédiés à ce plan d’action devraient y être redirigés, car ce sont là de réelles menaces à notre sécurité collective, qui s’étendent bien au-delà du bref malaise ressenti par certain.e.s face à l’itinérance, un problème non pas individuel mais bien une faille systémique.
Le démantèlement de campements dans un délai de 24 à 72 heures démontre le manque flagrant d’empathie de la part de la Ville de Moncton face à l’itinérance. Le surgissement de campements temporaires ne fera qu’augmenter tant et aussi longtemps que des mesures préventives et stratégiques avec une optique d’entraide ne seront pas mises en place. Expulser, judiciariser et tenter d’invisibiliser la précarité urbaine ne fera qu’amplifier la violence vécue par les personnes en situation d’itinérance.
Viser la cohésion et non la division sociale
Espérons que cette brève critique du plan de la Ville de Moncton suscitera une réflexion et une introspection approfondies de la part des décideurs et décideuses quant au précédent qu’ils et elles sont en train de créer en prenant une telle position face à l’itinérance. L’avenir ne doit en aucun cas reposer sur la vision de personnes qui par leur incompréhension déshumanisent la problématique et les personnes en situation d’itinérance en proposant des solutions qui favorisent la criminalisation de la pauvreté plutôt qu’un investissement concret dans la communauté.
Pour qu’il soit crédible, ce plan de sécurité devrait préconiser une approche intersectionnelle de la problématique de l’itinérance, ce qui dérange visiblement les personnes en position de pouvoir.
Un texte d’Alisson Haché-Chiasson, Naomie Mazerolle et Mathilde Thériault, étudiantes en travail social à l’Université de Moncton.