Texte initialement publié par Francopresse.
Cinq ans après le début de la vague de dénonciation #moiaussi sur les réseaux sociaux, qui a permis de libérer la parole des victimes de viol et d’agressions sexuelles, où en est-on? Pas bien loin. Le sexisme et la misogynie se portent bien, merci. Retour sur quelques moments clefs de l’année.
Printemps 2022. Nous observons le lynchage médiatique de l’actrice Amber Heard lors de son procès contre Johnny Depp. Un procès pour diffamation dans le cadre de violences domestiques, relayé à la manière d’un divertissement par les médias et dont la toile s’empare pour laisser libre cours à son antiféminisme le plus primaire à coups de mèmes sordides visant à ridiculiser l’actrice.
Bien loin de profiter de l’occasion pour soutenir les victimes de violence ou pour partager des ressources afin de les aider, les internautes se déchaînent pour discréditer les femmes victimes d’abus, sans jamais s’intéresser à la nature systémique de cette violence.
Été 2022. Nous prenons conscience de l’ampleur du phénomène Andrew Tate, alors que l’influenceur britannique se voit banni des principaux réseaux sociaux. Nous découvrons avec effroi la misogynie et les discours haineux auxquels sont régulièrement confrontés nos jeunes en pleine construction identitaire, et notre incapacité à les en protéger efficacement. Malgré le racisme et la violence des propos de l’influenceur, il se trouve tout de même des voix pour le défendre, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, bien sûr.
Automne 2022. Nous voyons la fédération canadienne de hockey continuer de défendre ses dirigeants, malgré leur incapacité à répondre adéquatement aux allégations d’agressions sexuelles visant certains joueurs. Nous mesurons à quel point la culture du viol est institutionnalisée au sein de la fédération sportive lorsque nous découvrons le nombre de plaintes étouffées par l’entremise d’un fonds monétaire créé à cet effet. « C’est simple, dans les 30 dernières années, plus d’actions ont été posées à Hockey Canada pour étouffer les plaintes de violence sexuelle que pour les empêcher », explique un article du quotidien québécois Le Devoir.
Encore et toujours, on protège les agresseurs. Encore et toujours, on fait taire les victimes.
Une violence systémique et récurrente
Les violences basées sur le genre ne cessent d’augmenter dans plusieurs provinces du pays, comme au Nouveau-Brunswick, où l’on a constaté une hausse de 39 % du nombre d’actes de violence entre partenaires intimes ayant été déclarés entre 2009 et 2021. À la fin du mois d’octobre 2022, 144 femmes avaient déjà été tuées au Canada, soit près d’une femme tous les deux jours. La moitié d’entre elles sont mortes sous les coups de leur compagnon, dans leur propre maison. Les femmes autochtones continuent quant à elles d’être largement surreprésentées dans les cas de féminicides et de disparitions au Canada.
Il ne s’agit pas de chicanes de famille, de malheureux accidents ou de drames passionnels, comme aiment les décrire certains médias. Ces chiffres sont les témoins d’une violence globale et récurrente ciblant spécifiquement les femmes. Une violence qui s’inscrit dans une culture patriarcale bien vivante, maintenant et reproduisant l’oppression des femmes par les hommes dans toutes les sphères de la vie, et ce, depuis des siècles.
Cette culture tolère les blagues sexistes, le harcèlement, les gestes déplacés. Cette culture cherche des excuses pour l’agresseur avant même que la victime ait fini de parler. Cette culture apprend aux femmes à avoir peur la nuit, plutôt que d’éduquer les garçons. Cette culture permet aux hommes d’accéder aux lieux de pouvoir de manière totalement disproportionnée.
C’est une violence permanente, diffuse, qui s’instille dans les détails de nos quotidiens, dans nos discours et dans les rouages de nos systèmes judiciaires. Qui dicte nos comportements et entrave nos libertés.
Une violence perpétrée par les gouvernements eux-mêmes, lorsqu’ils ne respectent pas les droits sexuels et reproductifs des femmes et des minorités de genre. Ou lorsqu’ils refusent de prendre des mesures pour lutter contre la pauvreté, contribuant de ce fait à exacerber les inégalités et à maintenir les femmes et les minorités de genre en position de vulnérabilité.
Cette violence ne pourra prendre fin que le jour où l’on décidera enfin de la voir pour ce qu’elle est : un enjeu systémique, que nous devons aborder de façon systémique. Un enjeu de santé publique sur lequel nous avons le devoir d’agir dès maintenant.
Pour que cesse cette guerre mondiale contre les femmes, pour reprendre les mots de la célèbre activiste féministe Silvia Federici. Pour que plus jamais les femmes n’aient peur de rentrer chez elles.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.