Le militant des causes sociales Claude Snow, de Caraquet, travaille auprès des personnes démunies depuis une cinquantaine d’années. La COOP Média NB a voulu obtenir son point de vue sur la pauvreté telle qu’elle est vécue en 2023 et sur la façon dont le gouvernement s’occupe des personnes en situation de pauvreté aujourd’hui.
Certaines personnes pensent que les personnes en situation de pauvreté sont paresseuses, qu’elles ne font rien pour se sortir de la pauvreté et qu’elles sont un fardeau pour celles qui travaillent et qui les font vivre. Comment expliquer cela?
Il y a des gens qui pensent que les personnes qui reçoivent de l’assistance sociale devraient faire plus d’efforts pour intégrer le marché du travail. Ils ne voient pas leurs incapacités parce qu’elles sont invisibles. Ils ne savent pas que ces personnes ne sont pas capables de s’adapter au marché du travail pour toutes sortes de raisons qui ne sautent pas aux yeux. Il y a des gens qui pensent que les assistés sociaux sont gras durs, mais si on y regarde de plus près, on voit bien qu’ils sont dans l’insécurité et la détresse. En réalité, personne ne choisit d’être pauvre. Ce sont souvent des causes extérieures qui les ont plongés dans cette situation.
Plus de 20 000 personnes reçoivent de l’aide au revenu au Nouveau-Brunswick. Selon Statistique Canada, la province offre les taux d’aide au revenu les plus bas au pays, soit entre 593 et 732 dollars par mois pour une personne seule. Cela correspond à peu près au tiers du seuil de pauvreté, qui se situe autour de 22 000 $ par année. Qu’en pensez-vous?
Le gouvernement essaie de minimiser le problème. Il dit qu’il y a 20 000 personnes qui ont besoin de soutien, mais ce sont 20 000 dossiers, dont plusieurs comprennent une famille, des enfants. Il y a aussi ceux qui travaillent et qui reçoivent du soutien pour le loyer, les services de garde, etc. En tout, il y a plus de 76 000 personnes qui reçoivent du soutien, 10 % de la population du Nouveau-Brunswick.
Il y aussi beaucoup de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté et qui ne reçoivent pas de soutien du gouvernement provincial, comme les aîné·es qui vivent seul·es et qu’on ne compte pas dans les statistiques. Avec l’âge, ces personnes en viennent parfois à se négliger, à ne plus prendre soin d’elles-mêmes, et quand on s’en rend compte, elles vont vraiment mal. Oui, les montants devraient augmenter, mais ce dont ces personnes ont surtout besoin, c’est d’un soutien personnel. Avant, les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales passaient du temps avec les personnes qui reçoivent de l’assistance sociale pour les aider à se débrouiller. Aujourd’hui, ils n’ont plus le temps. Les pauvres sont abandonnés à eux-mêmes.
Nombreux sont ceux qui travaillent et qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Le nombre de visites dans les banques alimentaires a augmenté de 17 % en 2022 par rapport à 2021 (3 500 personnes de plus). Selon vous, le nombre de personnes démunies continue-t-il d’augmenter? Le visage de la pauvreté a-t-il changé au fil du temps?
Oui, il y a plus de démunis qu’avant. Nous ne croyons pas que les banques alimentaires soient la meilleure solution au problème. Il faudrait plutôt augmenter le revenu de ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté et leur fournir du soutien personnalisé. Bien des usagers travaillent, mais leur salaire est si bas qu’ils n’arrivent pas à payer le loyer, le chauffage, l’épicerie, l’essence, la garderie, les médicaments, etc.
L’aide sociale a été créée pour aider les personnes en fonction de leurs moyens et de leurs besoins. Il faut trouver un équilibre entre les besoins de la personne et ses moyens. Les démunis ont des besoins multiples et leurs moyens sont limités. L’insécurité financière cause un stress qui les désorganise. Ils ont des difficultés fonctionnelles, des difficultés d’adaptation, de compréhension, d’organisation. Le manque de scolarité est un problème pour plusieurs. Maintenant, il y a aussi les nouveaux analphabètes, ceux qui ne savent pas utiliser l’informatique. Les employeurs, le gouvernement, tout le monde s’attend à ce qu’ils puissent avoir accès à internet, mais ça coûte cher et plusieurs n’ont jamais appris à s’en servir. C’est une sérieuse barrière à leur intégration sociale, à l’information et aux services.
Comment le gouvernement pourrait-il mieux soutenir les personnes en situation de pauvreté?
Le système d’aide sociale est de plus en plus informatisé, il n’y a plus de soutien personnel. Le système d’aide gouvernementale s’est détérioré. Il n’est pas adapté aux capacités de ces personnes, qui ont surtout besoin d’un soutien personnel, de quelqu’un qui puisse les aider, les guider, les protéger sans vouloir tout décider pour eux. Les gens ont de la difficulté à avoir accès à de l’aide. Les services se sont appauvris. La situation empire. Les gens ont besoin que quelqu’un les aide à remplir un formulaire, à écrire une lettre, à défendre leurs droits. Je dirais que 50 % de mon travail consiste à écrire pour eux. Je suis ce qu’on appelle un écrivain public. Et comme je ne reçois pas d’aide du gouvernement, j’ai une liberté que je n’aurais pas si j’étais fonctionnaire.
Ça vous donne la possibilité de critiquer certaines politiques du gouvernement, de dénoncer certaines décisions et de soulever des lacunes dans le système. Au nom de tous ceux et de toutes celles que vous défendez depuis si longtemps, un gros merci!
Bernadette Landry milite depuis des décennies contre toutes sortes d’injustices sociales. Elle est membre du Comité régional Dieppe-Moncton de l’Association francophone des aîné·es du Nouveau-Brunswick et de la Coalition du Nouveau-Brunswick sur la santé.