Des patient·e·s et des familles aux prises avec les symptômes d’une maladie neurodégénérative réclament une nouvelle enquête sur les causes environnementales potentielles de cette maladie.
Ces demandes surviennent 13 mois après l’annonce par la province que le « syndrome neurologique de cause inconnue » n’existe pas. Le Parti Vert provincial a tenu une conférence de presse le mardi 28 mars avec des personnes touchées par la maladie.
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Il y a désormais 147 personnes « souffrant de symptômes neurologiques sévères qui se développent rapidement », selon le groupe. Plus d’un tiers de ces patient·e·s ont moins de 45 ans. Les tests médicaux ont révélé que de nombreux patient·e·s ont été exposés à « de multiples toxines environnementales », a déclaré Stacie Quigley Cormier, dont la belle-fille fait partie des patient·e·s.
Elle a notamment pointé du doigt l’herbicide glyphosate, largement utilisé en sylviculture et agriculture.
« Nous voulons confirmer qu’au cours des derniers mois, des patient·e·s ont été testés positifs pour de multiples toxines environnementales, dont le glyphosate, avec des concentrations détectables entre 4 et 40 fois la limite moyenne », a-t-elle déclaré aux journalistes.
Bien que peu de détails aient été communiqués, elle a précisé que « de nombreux patient·e·s ont été testés ». Sa belle-fille, Gabrielle Cormier, ancienne étudiante à l’Université Mount Allison, est l’une des plus jeunes patientes touchées par ce que les autorités ont d’abord appelé un syndrome neurologique de cause inconnue.
La députée de Memramcook-Tantramar, Megan Mitton, porte-parole du Parti Vert en matière de santé, a déclaré que la province doit « lever tous les obstacles » et permettre aux autorités sanitaires fédérales d’enquêter. Le groupe a également demandé au ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, de « permettre aux scientifiques fédéraux de faire leur travail en toute transparence » et de lancer une enquête avec des expert·e·s fédéraux.
Ils ont aussi accusé les gouvernements provincial et fédéral de « déformer les faits » relatifs aux dossiers des patient·e·s pour que « l’enquête de la santé publique soit abandonnée ».
Plus tard dans la journée, Mitton a soulevé la question à l’Assemblée législative pendant la période des questions, alors que des patient·e·s et des membres de leur famille étaient rassemblés dans la tribune des visiteuses et visiteurs. Mitton a cité une lettre du Dr. Alier Marrero, le neurologue qui a été le premier à identifier la grappe controversée.
« Le 30 janvier dernier, le Dr. Marrero a de nouveau fait part de ses préoccupations concernant le nombre étonnamment élevé de syndromes neurologiques progressifs survenant de façon précoce ou à un jeune âge au Nouveau-Brunswick », a déclaré Mitton.
« Le ministre de la Santé va-t-il se mettre à l’écart et permettre à l’Agence de la santé publique du Canada de lancer une enquête? »
Le ministre de la Santé, Bruce Fitch, a déclaré que son ministère avait reçu la lettre du Dr. Marrero, tout en niant avoir entravé une enquête.
« Il y a une coopération étroite entre la Santé publique du Nouveau-Brunswick et l’Agence de la santé publique du Canada », a-t-il déclaré, et l’agence fédérale « a appuyé les résultats de l’enquête provinciale ».
« C’est la raison pour laquelle l’enquête a été interrompue, car l’Agence de la santé publique du Canada était d’accord avec les résultats obtenus ici, dans la province du Nouveau-Brunswick ».
En réponse à une demande de CHMA – la station de radio communautaire du campus de Sackville – l’agence fédérale a fait savoir par courriel qu’elle « a fourni l’appui demandé par le Nouveau-Brunswick, tout au long de l’enquête et jusqu’à sa conclusion ».
L’agence fédérale de la santé a également « reconnu les conclusions de l’enquête selon lesquelles cette grappe ne représente pas un syndrome neurologique de cause inconnue ».
Matthew Betti, professeur de mathématiques et d’informatique à l’Université Mount Allison et spécialiste en modélisation des maladies infectieuses, étudie actuellement le syndrome. Il a suivi la conférence de presse du 28 mars et a fait le point sur son étude qui comprend une enquête auprès des néo-brunswickois·e·s.
Jusqu’à présent, parmi les personnes interrogées, celles qui présentent des symptômes semblent se trouver dans la Péninsule acadienne et au nord-est du Nouveau-Brunswick. « Il est difficile de dire qu’il n’y a pas de lien » affirme-t-il.
Une étude publiée par Santé publique en octobre 2021 (PDF) a conclu qu’au stade actuel de l’enquête, « aucun comportement, aucun aliment, ni aucune exposition environnementale en particulier n’a pu être cerné comme facteur de risque potentiel en ce qui concerne cette grappe de cas ».
Betti a critiqué l’étude en soulignant par exemple qu’elle ne comporte pas de groupe témoin qui permettrait de comparer les patient·e·s et la population en général.
Il a aussi mis en avant des données inquiétantes provenant du Système de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (SSMCJ), géré par l’Agence de la santé publique du Canada. La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une maladie neurodégénérative rare et mortelle.
Le SSMCJ publie chaque année un rapport détaillant le nombre de cas suspectés portés à l’attention de l’organisation, ventilés par province.
« Même en tenant compte de l’âge, il y a toujours plus de cas suspectés au Nouveau-Brunswick, et ce nombre augmente plus rapidement que dans les autres provinces », a déclaré M. Betti.
Les facteurs environnementaux tels que le glyphosate et les algues bleu-vert font partie des principales hypothèses qu’il examine en tant que chercheur.
La question a été portée à l’attention du public pour la première fois en mars 2021 avec la fuite d’une note de service de la Santé publique destinée aux professionnel·le·s de la santé.
Cette note visait à les informer de l’existence d’une grappe de plus de 40 personnes présentant des symptômes similaires à ceux de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Les patient·e·s étaient concentrés autour de Moncton et près de la Péninsule acadienne.
Or, en février 2022, le ministère de la Santé publique a publié un rapport final concluant « qu’il n’y a aucune preuve d’une grappe d’un syndrome neurologique de cause inconnue ».
Ce rapport suggère qu’il y aurait eu plusieurs erreurs de diagnostic et que les patientes souffrent ou souffraient probablement d’affections telles que la maladie d’Alzheimer et le syndrome post-commotionnel.
Le 28 mars dernier, le groupe de patient·e·s a déclaré que bon nombre de ces diagnostics avaient déjà été écartés.
« Nous avons perdu près d’un an de notre vie pour qu’on nous dise de chercher des réponses que nous avions déjà », a déclaré Stacie Quigley Cormier. « Ce n’est que de la poudre aux yeux » a-t-elle ajouté.
Un rapport approfondi publié par le magazine The Walrus en octobre 2021 citait une source anonyme qui affirmait que les scientifiques fédéraux avaient été « muselés » à la demande de la province.
En janvier dernier, le média CANADALAND a rapporté, en se basant sur des documents internes du gouvernement, que le Nouveau-Brunswick avait brusquement mis fin en mai 2021, « sans explication », à la recherche conjointe effectuée par les scientifiques fédéraux et provinciaux.
La maladie dite « mystérieuse » a également fait les manchettes de quotidiens nationaux et internationaux, le Washington Post, The Guardian, le National Post, le Globe and Mail et le Journal de Québec, entre autres.
David Gordon Koch, CHMA, Initiative pour le journalisme local.
David Gordon Koch est journaliste pour CHMA et gestionnaire à temps partiel de la COOP Médias NB. Ce reportage a été rendu possible par CHMA Sackville, grâce au financement de l’Initiative de journalisme local et des partenaires communautaires de CHMA. Vous pouvez soutenir la radio communautaire en faisant un don à nos ami·e·s de CHMA.