Ya dequoi qui cloche dans le portrait. Ça m’enrage.
Le prix littéraire France-Acadie présidé par Alain Dubos ne sera pas remis cette année, parce qu’apparemment AUCUN livre reçu était assez bon pour le mériter. (Articles sur le sujet à Radio-Canada et l’Acadie Nouvelle).
Des maisons d’édition entières ne soumettent pas leurs œuvres parce que leurs auteurs ont l’impression que le jury s’intéresse juste à des œuvres qui parlent DE l’Acadie dans un registre de langue normatif. D’autres soumettent des œuvres, et le prix publie le nom de ces auteurs avant d’annoncer publiquement qu’un comité sur un autre continent a décidé que ces œuvres sont tellement pas à la hauteur de whatever critères qu’ils ont qu’aucun prix ne sera remis parmi elles. C’est humiliant de leur faire ça. Le communiqué de presse officiel est dans les commentaires de ce post et c’est vraiment gênant en propos et dans le ton employé. C’est la faute à tout le monde sauf eux, apparemment
Un des plus gros problèmes des Acadies d’aujourd’hui c’est notre rapport difficile avec la langue. Déjà que les gens ne sont pas à l’aise avec la lecture, situation bien documentée par nos réseaux d’alphabétisation ainsi que nos conseils scolaires, imaginez ce que ça veut dire comme geste d’oser écrire un livre. C’est punk as fuck, contextuellement. Et on s’entend que les auteurs d’ici n’écrivent pas pour la gloire du prestige et encore moins celle de la richesse.
On écrit parce qu’il faut. Parce que les livres vivent plus longtemps que nous. Parce que ce médium permet à l’auteur de créer un monde selon ses envies. Parce que lire c’est important, et c’est important de lire des choses qui viennent de chez nous. Parce que chez nous ça peut être un livre. Parce qu’un livre ça peut sonner comme nous. Parce qu’on est capable d’écrire des livres. Parce qu’on est capable de lire. Parce que se lire c’est essentiel pour la survie et l’évolution d’une culture. Parce qu’on a des choses qu’il faut absolument dire. Lire et écrire c’est essentiel, crisse.
Alors quand je lis sur Radio Canada qu’un des auteurs qui a soumis son livre à ce prix, Donald Boudreau (La guerre à Emery à Edmond) a ceci à dire sur son expérience avec un des seuls prix littéraires acadiens, ça dépasse ma limite de patience: “Je doute que j’essaierai de nouveau. Surtout avec les commentaires que j’ai reçus de mon livre, je n’essaierai pas avec celui-là. ”
Ah super. Quelqu’un qui aime assez les livres pour vouloir en écrire un, et en français, ce qui veut dire qu’il a déjà réussi à surmonter assez d’insécurité linguistique pour se laisser être lu par le public. Il soumet son œuvre à un prix international destiné aux Acadiens, avec un jury de français qui sont, selon l’analyse de Benoit Doyon-Gosselin, déconnectés de l’Acadie actuelle, et des sujets et styles sur lesquels et avec lesquels elle s’exprime. Ce jury en France annonce les noms des œuvres, dont la sienne, qui sont en considération. C’est quand même cool pour l’auteur qu’on parle de son livre sur un autre continent. C’est valorisant, même. Mais non, c’était juste pour dire que tous ces gens-là ne sont pas assez bons pour que la France daigne leur accorder un prix. Tellement pas bons qu’ils n’en donneront pas du tout. Et c’est pas clair si c’est ce prix-là ou d’autres gens qui lui ont donné des commentaires sur son livre, mais il n’a plus envie de le soumettre, ou peut-être même plus envie de soumettre ses futures œuvres. ON LUI A REDONNÉ DU DOUTE SUR SON ECRITURE. Je ne le connais pas personnellement, mais ce genre de situation peut facilement tourner dans le monstre de L’INSÉCURITÉ LINGUISTIQUE.
On est en 2023. On sait ce que ça fait ce monstre-là.
Je suis outré.e et dégouté.e par cette situation. C’est honteux pour mes collègues auteur.ices.x et absolument inacceptable dans la relation symbolique entre la France et l’Acadie.
Les soumissions (où en envoie encore en 2023 des livres papiers d’un continent à l’autre, ce qui est cher et lent, un clusterfuck logistique d’envoyer des trucs pour qu’ils se fassent envoyer pour probablement qu’ils se fassent envoyer encore une fois, alors que des PDF ça existe) sont coordonnées avec l’aide de la Société Nationale de l’Acadie, qui a pour mandat d’être le porte-parole du peuple Acadien. Dans ce cas, ils sont littéralement en train de porter la parole d’Acadien.nes.iels jusqu’à l’autre côté de l’océan Atlantique pour que des français piétinent cette parole en annonçant publiquement qu’elle n’est pas bonne assez eux. Je refuse d’accepter ça. Y’a quelque chose qui est malsain dans tout ça, et va falloir que ça change. On nous dit que le prix sera remis l’année prochaine, mais il n’y a rien qui indique que les conditions qui ont mené à ce scandale auront suffisamment évolué pour qu’on puisse avoir confiance que c’est une bonne chose pour nos auteurs d’envoyer leurs livres là-bas. Rien ne nous dit qu’on sera à la hauteur de ce prix-là la prochaine fois. Et je soupçonne que ce scandale va pas inspirer davantage de soumissions la prochaine fois…
Donc j’implore la SNA, son président Martin Theberge, sa dg Véronique Mallet, son coordinateur de la spaasi (NDLR : Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène international) Yannick Mainville de faire des décisions radicales pour que leurs partenariats internationaux contribuent au rayonnement des artistes plutôt qu’à la destruction de leur confiance. Cette situation est une honte, et nos fonds publiques paient le temps de la SNA qui est attribué à ce dossier. Faites dequoi. Ça suffit.
Je tagge dans les commentaires d’autres intervenants dans le milieu littéraire et des arts, et cette publication FB est publique pour que vous puissiez partager et tagger vous aussi.
Et aux auteur.ices touché.es par cette situation: je suis vraiment désolé.e que vous vivez ça. Ne laissez pas ce prix vous dire si votre travail est bon ou pas. Vous avez écrit des livres. Vous avez déjà réussi.
Céleste Godin est un.e poète et dramaturge acadien.ne originaire de la Nouvelle-Écosse qui vit aujourd’hui à Moncton. Sa pièce de théâtre, Overlap, a été publiée par Prise de Parole en 2020. Ce texte a été publié par Godin sur ses médias sociaux le 22 novembre, 2023.