Le danger pour les foyers de soins locaux sans but lucratif au Nouveau-Brunswick demeure réel malgré le fait qu’après 14 ans et autant de contrats accordés à la société Shannex, deux contrats récents de foyers de soins ont été attribués à d’autres.
Dans le premier de deux articles publiés en 2021, j’ai souligné la tendance alarmante de l’augmentation des entreprises à but lucratif dans les foyers de soins de longue durée financés au Nouveau-Brunswick. Lorsque deux autres contrats ont été accordés à Shannex, la société qui avait obtenu les 12 contrats de foyers de soins depuis 2008 dans la province, dans le deuxième article, je me suis demandé si l’avenir de nos foyers de soins sans but lucratif était menacé.
Or, en 2022, deux contrats de foyers de soins ont été attribués à des foyers de soins n’appartenant pas à Shannex. Comment ça s’est produit ? Qu’est-ce que ça signifie pour l’avenir du secteur des foyers de soins dans la province ?
Depuis 2008, la corporatisation des foyers de repos s’est produite en raison de l’adoption par le gouvernement du modèle de partenariat public-privé (P3). En plus de ce facteur, l’adoption d’un appel d’offres concurrentiel par le biais d’un modèle de demande de qualifications/demande de propositions (DDQ/DP) est en place depuis 2015.
En juin et septembre 2022, les deux contrats non-Shannex, les premiers depuis 2008, ont été attribués. Les détails de ces contrats ont été obtenus grâce à une demande selon la Loi sur le droit à l’information que j’ai faite pour les deux contrats et les communiqués de presse du ministère du Développement social du Nouveau-Brunswick.
Les nouveaux foyers de soins à but non lucratif semblent être une exception possible à la menace que représente pour les foyers de soins à but lucratif dans la corporatisation des foyers de soins dans la province. Il semble que, dans ces cas, plutôt que ça soit une société « d’ailleurs » qui viennent à la communauté pour obtenir le contrat, ce sont des acteurs locaux qui se sont manifestés.
Le premier contrat porte sur la construction d’un nouveau foyer de soins de 70$ millions d’une capacité de 170 lits à Shédiac et a été signé par Ronald LeBlanc, PDG du nouveau foyer de soins qui portera le nom de Maison Providence Ltd. Il sera développé et exploité par Réseau de Vie Confort. Entre autres conditions, le nouveau foyer de soins devait verser un acompte de 3,8$ millions pour obtenir le contrat de Shédiac.
L’obtention du contrat n’a pas été facile. L’équipe du Réseau de Vie Confort avait soumissionné pour tous les contrats lancés depuis 2016, mais avait perdu chaque fois face à Shannex. Jusqu’en 2022, Shannex avait obtenu 14 contrats de suite pour des foyers de soins.
Le Réseau de Vie Confort, basé à Shédiac, existe depuis 50 ans. Sur son site Web, cette compagnie se décrit comme « le plus grand dispensateur de service de soins de longue durée à but non lucratif de la province du Nouveau-Brunswick avec 16 corporations. Cela comprend 406 lits de soins de longue durée, plus de 400 appartements abordables, un établissement de 40 appartements offrant des appartements abordables et accessible avec des services de préposés sur place » . Les lits de soins de longue durée se trouvent dans quatre foyers de soins: Villa Providence (Shédiac), Villa du Repos (Moncton), Le Complexe Rendez-vous (Neguac) et le Foyer Saint-Antoine (Saint-Antoine), ajouté récemment au réseau.
De plus, le Réseau de Vie Confort se décrit comme un acteur important : « Avec un equiter (sic) accumuler (sic) de 156 $M. C’est grâce à ceci que nous avons pu répondre à la demande de proposition (RFP) pour le nouveau foyer de Shédiac. Dans la province, nous sommes les seules (sic) qui sont positionnées (sic) avec les outils nécessaires afin de répondre aux critères du gouvernement pour des nouvelles constructions ; nous avons l’équipe et l’expertise déjà en place » .
Les foyers de soins qui font déjà partie du Réseau de Vie Confort sont enregistrés comme des organismes de bienfaisance sans but lucratif et ont des conseils d’administration bénévoles. Ces deux aspects seront également présents dans la nouvelle Maison Providence, selon le PDG du Réseau de Vie Confort, Ronald LeBlanc, lors d’une entrevue que j’ai eue avec lui le 26 octobre 2023.
La nouvelle maison de soins infirmiers veut conserver son caractère communautaire local. Le fait que toutes les maisons de repos du Réseau de Vie Confort se soient inscrites au programme Foyers de soins sans murs semble en témoigner. Il s’agit d’un programme de vieillissement sur place récemment adopté au Nouveau-Brunswick, dans le cadre duquel les foyers de soins peuvent s’engager à offrir des services aux personnes âgées chez elles afin de leur permettre d’y rester.
Le deuxième contrat porte sur la construction d’une nouvelle maison de repos de 60 lits, d’une valeur de 29,7$ millions, dans la Péninsule acadienne, qui portera le nom de La Villa St. Joseph Ltee/Villa Saint-Isidore Nursing Home Partnership et sera construit et mis en location par un partenariat d’investisseurs locaux.
Tout comme la Maison Providence à Shédiac, la Villa Saint-Isidore est peut-être une exception. Elle n’est pas enregistrée en tant qu’organisme de bienfaisance sans but lucratif, mais elle pourrait conserver son caractère communautaire local.
Ronald Losier, président de St-Isidore Asphalte Ltee, une entreprise d’asphaltage, est cité comme représentant des investisseurs dans le communiqué de presse. Son père, Richard Losier, homme d’affaires local bien connu et fondateur de l’entreprise, a fait don du terrain pour la nouvelle maison de retraite avant son décès en 2020. Le contrat est signé par Oscar Roussel, président du conseil d’administration de la Villa Saint-Joseph, une maison de repos de 74 lits située à Tracadie-Sheila, dans la même région.
Dans les contrats de maisons de retraite traditionnels conclus avant 2008, les collectivités locales n’avaient aucun financement à apporter. Les prêts pour la construction de la maison de retraite étaient garantis par le gouvernement. À l’heure actuelle, la clé pour obtenir ces deux contrats récents a été le soutien financier communautaire décrit ci-dessus.
Malgré ces deux exceptions, la menace qui pèse sur les autres maisons de repos communautaires reste plus réelle que jamais.
Les affaires vont bon train pour Shannex, l’entreprise basée en Nouvelle-Écosse qui, en novembre 2023, a obtenu un autre contrat pour un foyer de soins de 60 lits à Moncton, sur un site où se trouvent deux autres foyers de soins récemment attribués à Shannex. Il s’agit du quinzième contrat de Shannex au Nouveau-Brunswick depuis 2008.
Dans le communiqué de presse annonçant ce dernier contrat de Shannex, Kathy Bockus, ministre responsable des aînés, décrit l’entreprise comme « l’un des nombreux partenaires précieux du ministère du Développement social” et la remercie en disant “nous apprécions sincèrement son dévouement à l’égard des aînés du Nouveau-Brunswick » .
Pendant ce temps, les foyers de repos traditionnels à but non lucratif implantées localement luttent pour leur survie et pour répondre aux exigences du nouveau modèle. Par exemple, en 2018 le gouvernement Gallant avait promis des rénovations indispensables au Manoir Pine Grove de Fredericton. Ces rénovations ne se sont jamais concrétisées et Pine Grove se retrouve maintenant dans une position où les rénovations —ou la construction d’un nouveau bâtiment— nécessiteraient de participer à un processus d’appel d’offres public.
Un foyer de soins local ne pourra jamais l’emporter dans une procédure d’appel d’offres sans un soutien financier substantiel comme celui des deux contrats décrits ci-dessus. Malheureusement, c’est le cas de la quasi-totalité des foyers de soins communautaires traditionnels à but non lucratif qui restent au Nouveau-Brunswick.
À cause du nouveau système, il semble que l’on va les laisser s’éteindre progressivement.
Joan McFarland est une chercheuse sur les soins de longue durée basée à Fredericton et une professeure d’économie à la retraite de l’Université St. Thomas.