À l’église Paul’s United Church de Riverview, une vingtaine de personnes écoutent attentivement le révérend Steve Berube. Il souhaite la bienvenue aux participants, qui sont venus écouter Bill Chambre, un militaire canadien à la retraite qui a servi 34 ans et a été observateur des droits de l’homme dans le cadre du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël (EAPPI).
M. Chambre a participé à deux missions d’observation en Palestine avec l’EAPPI, une dans les collines au sud d’Hébron en 2022 et l’autre à Jérusalem-Est en 2023. Dans une présentation claire et concise, à l’aide de diapositives comprenant des preuves photographiques, des cartes et une mise en contexte, il présente sans complaisance la réalité de l’occupation israélienne, une réalité que le peuple palestinien ne peut pas fuir.
Lorsqu’il décrit son expérience dans les territoires occupés, on est immédiatement frappé par les contrôles extrêmement stricts qui régissent presque tous les aspects de la vie des Palestiniens. Peu importe ce que l’on apprend sur les politiques israéliennes à l’égard de la population occupée, chaque détail suscite des sentiments de dégoût, de pitié, de colère, de compassion et de tristesse.
M. Chambre montre des photos de maisons palestiniennes destinées à être démolies par l’État d’Israël. Lorsqu’une maison palestinienne est démolie pour faire place à de nouvelles colonies israéliennes, le propriétaire palestinien doit souvent payer une taxe à l’armée pour assurer la “sécurité” des équipes de démolition israéliennes. Cette taxe peut être supprimée si les résidents palestiniens acceptent de détruire leurs propres maisons.
Les histoires de chaque démolition sont profondément cruelles et cyniques à leur manière.
Une famille qui avait rénové l’intérieur de sa maison pour y ajouter une magnifique cuisine moderne a reçu l’ordre de détruire entièrement toute la maison. Une autre famille qui a construit une nouvelle maison à côté de l’ancienne a appris que cela était illégal. Ils ont déménagé tous leurs biens dans l’ancienne maison avant le jour de la démolition prévue. L’équipe de démolition est arrivée et les a informés qu’elle allait détruire leurs deux maisons. Ils ont eu cinq minutes pour sortir les biens qu’ils voulaient conserver.
Le niveau de contrôle exercé sur la vie des Palestiniens dans les territoires occupés est écrasant et difficile à comprendre pour ceux qui ne l’ont pas vécu. Des points de contrôle militarisés vérifient les personnes entrant et sortant de nombreuses zones. À Jérusalem-Est, les forces israéliennes arrêtent régulièrement des adolescents palestiniens sur le chemin de l’école, leur demandant leurs papiers d’identité et les soumettant à des fouilles corporelles. Ces rencontres peuvent être violentes, comme le montrent les photos de Chambre où un soldat israélien met la main sur la gorge d’un jeune Palestinien.
M. Chambre a parlé à ce garçon après l’incident afin de recueillir des détails, et une déclaration a été transmisse à l’UNICEF. Il décrit la réaction de l’enfant lorsqu’il a été arrêté. “Le garçon a dit que ce qui l’avait le plus bouleversé, ce n’était pas tant d’être arrêté, ni même d’avoir une main sur la gorge, mais le fait qu’ils aient sifflé après lui lorsqu’ils lui ont demandé sa carte d’identité. Ils l’ont traité comme un animal. Ils ont nié son humanité”.
Dans la conclusion de sa présentation, M. Chambre rappelle la force avec laquelle le gouvernement canadien a pris position contre l’apartheid en Afrique du Sud, alors même que le premier ministre britannique Margaret Thatcher et le président des États-Unis Ronald Reagan refusaient de le faire. En montrant une diapositive présentant le résultat d’un sondage sur les attitudes des Canadiens à l’égard d’Israël, il note qu’une diversité de Canadiens (avant les événements du 7 octobre) considéraient qu’Israël pratiquait l’apartheid, et que seulement onze pour cent des personnes interrogées considéraient Israël comme “une démocratie dynamique”.
Au cours de la période de questions, on a beaucoup parlé du silence d’une grande partie de la société canadienne et de la crainte d’être traité d’antisémite quand on exprime des critiques à l’égard de l’État d’Israël. Un des participants a demandé : « Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite sensibiliser l’opinion publique tout en conservant son emploi ? »
Une autre participante, originaire d’Égypte, s’étonne qu’il y ait si peu de discussions publiques sur ce que le Canada soutient dans les territoires occupés. « Les gens que je connais au travail, dans la rue, personne ne parle de cette occupation, de ce qui se passe à Gaza. Est-ce par ignorance, parce qu’ils ne savent pas, ou parce qu’ils font exprès, parce qu’ils ne veulent pas savoir ?
Un troisième participant souligne le fait que le Canada est historiquement un colonisateur, ce qui, selon lui, aide à comprendre la réticence de certains Canadiens à condamner les actions d’Israël, qui vise à étendre le territoire sous son contrôle et à repousser les Palestiniens.
Un des points essentiels de la conclusion de cette présentation est qu’il faut que le Parlement définisse clairement ce qui permettra d’établir un dialogue ouvert. « Il faut trouver une définition de l’antisémitisme qui établisse une différence entre critiquer Israël et faire preuve d’antisémitisme comme tel. […] Il faut trouver une définition claire de l’apartheid. Vous avez deux […] ensembles de lois qui s’appliquent à deux peuples différents dans une même région. Pour moi, c’est de l’apartheid. Et bien sûr, ce qui se passe aujourd’hui, selon les définitions que vous utilisez, est-ce un génocide ? Ça a tous les éléments d’un génocide. Et nous ne devrions pas être du mauvais côté de l’histoire, quel que soit le génocide ».
Lorsque je m’entretiens avec Jean-Claude Basque, organisateur de Citoyen.ne.s pour la Paix qui a parrainé l’événement, il reconnaît les limites des conversations qui ont lieu dans les médias traditionnels, et souligne le fait que les Canadiens partout dans le monde s’engagent dans des discussions plus larges, même si c’est en privé. “Les gens parlent… ils disent : nous ne pouvons pas continuer comme ça.’’
Pour Bill Chambre, sa vision d’une future politique canadienne à l’égard d’Israël pourrait peut-être être mieux résumée par ses propres mots : “Avec l’apartheid sud-africain, nous avons été un leader. Nous avons été le premier des pays du G7 à imposer des sanctions à l’Afrique du Sud. Même lors des réunions du Commonwealth, la Grande-Bretagne était contre les sanctions […] et les pays africains du Commonwealth se tournaient vers le Canada. À l’époque, nous nous sommes opposés à l’apartheid. Et j’aimerais que nous revenions à l’époque où les droits de l’homme comptaient pour tout le monde”.
Ryan Hillier est un écrivain et un colon vivant sur les rives du Petkootkweăk.