Après des années de négociations infructueuses et des mois après l’ultimatum de 100 jours lancé par le SCFP au premier ministre Higgs, les membres du SCFP Nouveau-Brunswick ont déclenché la grève dans toute la province le 29 octobre. Coop Média NB a interviewé le président du SCFP NB, Steve Drost, le 6 novembre, le lendemain du jour où le gouvernement Higgs a imposé un ordre de retour au travail aux travailleuses et travailleurs des soins de santé et de la chaîne d’approvisionnement en soins de santé.
Coop Média NB : On dit que le premier ministre n’aime pas le SCFP parce que c’est la seule organisation dans la province qui peut lui tenir tête. Êtes-vous d’accord ?
Steve Drost : Oui, et c’est assez évident avec le décret qu’ils ont utilisé hier soir [le 5 novembre]. Les travailleuses et les travailleurs ont finalement été mis au pied du mur et n’ont d’autre choix que de se défendre. Alors,le gouvernement a introduit cette législation de retour au travail sous l’état d’urgence qui interfère avec leurs droits à la libre négociation collective, leurs droits de grève. Et cette ordonnance s’accompagne d’amendes énormes, excessives. C’est un outil de menace. Et pourquoi ? Parce que ces travailleuses et travailleurs ont décidé de se défendre et d’exiger d’être traités équitablement.
Coop Média NB : La présidente du SCFP 1252, Norma Robinson, a déclaré aujourd’hui que 70 % des travailleurs du secteur hospitalier étaient désignés essentiels, ce qui signifie qu’ils travaillaient pendant la grève. Après l’entrée en vigueur de l’ordre de retour au travail, certains de ses membres non désignés se sont présentés au travail à l’hôpital de Campbellton ce matin[le 6 novembre], mais la direction leur a dit qu’ils étaient toujours en grève et qu’ils devaient rentrer chez eux. Que pensez-vous de cela ?
Steve Drost : Le gouvernement a créé beaucoup de confusion et d’anxiété pour ces membres qui étaient déjà très fatigués, après avoir travaillé pendant la pandémie, et d’être ensuite aussi maltraités. Les membres étaient vraiment frustrés. Mais cette situation remet également en question la nécessité même d’avoir ce décret d’urgence. Nous pensons que c’est totalement bidon.
« Nous pensons que cette ordonnance est ridicule. Les deux auteurs, Blaine Higgs et Ted Flemming, utilisent cette ordonnance pour interférer avec les droits légaux de négociation et de grève de ces travailleurs. »
Coop Média NB : Le président du SCFP 1251, Chris Curran, a déclaré aujourd’hui [5 novembre] que les hôpitaux envoient leur linge à Ottawa pour qu’il soit traité pendant la grève. Lorsque ses membres sont retournés à la buanderie ce matin pour se conformer à l’ordre, il n’y avait pas de retard dans le nettoyage du linge. Curran croit que cet ordre n’est pas lié à la situation causée par la COVID, mais plutôt à la suppression des droits des travailleurs. Le croyez-vous aussi ?
Steve Drost : Oui, nous le croyons pleinement. Je le crois certainement. Des offres ont été faites par le groupe de Norma, le SCFP 1252, les travailleuses et travailleurs des hôpitaux : un groupe de personnes qui font des services environnementaux étaient prêts à aller vérifier régulièrement que tout allait bien. Lorsque des travailleuses et travailleurs, qui étaient autorisés à le faire, sont allés sur place, ils découvrirent que certains établissements n’étaient pas aussi mal en point qu’ils le disaient, et pour certains d’entre eux, il n’y avait aucun problème. Et déjà les PDG [des autorités sanitaires] disent, en l’espace d’une journée, que “les choses s’améliorent vraiment”.
Autre chose : les PDG des deux autorités sanitaires ont affirmé qu’un nombre X de chirurgies électives avaient été annulées en raison de la grève du SCFP. Ils semblent rejeter beaucoup de responsabilités sur le SCFP. En réalité, ces chirurgies électives ont été annulées une fois que le premier ministre a rétabli l’état d’urgence. Nous pensons donc que cette ordonnance est ridicule. Nous pensons que les deux auteurs – M. Blaine Higgs et Ted Flemming – utilisent cette ordonnance pour interférer avec les droits légaux de négociation et de grève de ces travailleurs.
« Higgs a essayé de diviser les syndiqué.e.s, mais ceux-ci sont de plus en plus forts. Ils en ont tellement marre de la façon dont lui et son gouvernement les traitent. »
Coop Média NB : Veuillez nous donner une mise à jour sur l’état des négociations.
Steve Drost : Nous attendons toujours la réponse du gouvernement. Le premier ministre a déclaré, lors de notre conférence de presse à l’Assemblée législative, qu’il avait fait une offre. Nous n’avons jamais approuvé cette offre. Et nous avons fait une contre-offre. Et avec notre contre-offre, nous avons également dit que nous retournerions immédiatement tous les travailleuses et travailleurs au travail, que nous présenterions l’offre aux membres et leur demanderions de procéder à un vote de ratification. Nous n’avons pas obtenu de réponse de la province au sujet de notre contre-offre.
Coop Média NB : Hier, pendant la conférence de presse du SCFP à l’extérieur de l’Assemblée législative, vous avez invité le premier ministre à venir régler l’entente. Higgs est sorti, mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Que pensez-vous de la performance du premier ministre à votre conférence de presse ?
Steve Drost : Eh bien, le premier ministre s’est efforcé de tromper le public et les travailleuses et travailleurs. Il a utilisé beaucoup d’artifices. Il a dit que son offre prévoyait des remboursements ou des paiements rétroactifs de plusieurs milliers de dollars. Eh bien, ces contrats n’ont pas été réglés depuis quatre ou cinq ans, et il s’agit d’argent dû pour du travail déjà effectué, alors il ne nous donne rien du tout.
Higgs a essayé de nous diviser, mais les travailleuses et travailleurs sont de plus en plus forts, ils en ont tellement marre de la façon dont lui et son gouvernement les traitent. Et ensuite, abuser du processus légal et présenter cette ordonnance hier soir pour forcer ces travailleuses et travailleurs à retourner au travail sous prétexte que le système de soins de santé était en désordre après une semaine de grève ! Ils n’ont pas investi correctement dans notre système de soins de santé pendant 15 à 20 ans d’austérité. Le système de soins de santé était gravement menacé avant la pandémie. Et n’oublions pas que ces travailleuses et travailleurs ont travaillé tout au long de la pandémie. Le gouvernement continue de les traiter en ne leur montrant aucune dignité ni aucun respect, en refusant de régler ces contrats et en tenant les pensions de deux groupes au-dessus de la tête de tout le monde.
« Nous avons des entreprises et des sociétés dans cette province qui auraient pu générer 200 millions de dollars supplémentaires cette année, si nous avions un système de redevances équitable. Mais le gouvernement ne veut pas le faire ».
Coop Média NB : Vous avez parlé et écrit sur le gouvernement d’austérité de Higgs. Qu’entendez-vous par là ?
Steve Drost : L’austérité est créée de toute pièce : les gouvernements créent ces grands déficits. C’est juste une manipulation des finances. S’ils continuent à réduire les impôts et à accorder des subventions et des avantages importants aux entreprises, et s’ils n’ont pas un système fiscal équitable, nous aurons toujours des déficits, parce que, tout simplement, tout le monde ne paie pas sa juste part.
Coop Média NB : Lors de l’événement médiatique de vendredi dernier [5 novembre], vous avez dit que vous et tous les autres membres de l’équipe de négociation centrale savez que le gouvernement est antisyndical. Comment le fait d’être antisyndical s’inscrit-il dans le cadre des politiques d’austérité ?
Steve Drost : Oh, cela y joue un rôle très important. Vous savez, on nous dit toujours que “le ciel nous tombe sur la tête, nous ne pouvons pas nous permettre ceci, nous ne pouvons pas nous permettre cela, oh, mon Dieu, nous ne pouvons pas nous permettre de payer nos travailleuses et travailleurs”. Et ça fait 15 à 20 ans que ça dure. Ces sections locales ont eu des contrats il y a quelques cycles [de négociation] passées, où l’offre salariale était de 0, 0, 2 et 2 %, ce qui équivaut à 1 % par an. Puis, l’offre salariale suivante était de 1 % par année. Eh bien, si le coût de la vie est en moyenne de 2 %, ces employé.e.s prennent de plus en plus de retard chaque année. Ils ont moins de pouvoir d’achat, et ils ont moins d’argent à dépenser dans leurs économies locales. C’est une spirale descendante.
C’est vraiment une question de choix. Nous avons des entreprises et des sociétés dans cette province qui auraient pu générer 200 millions de dollars supplémentaires cette année, si nous avions un système de redevances équitable. Mais le gouvernement ne veut pas le faire. Si vous regardez les évaluations fiscales, les impôts fonciers de la plupart des citoyens ont augmenté d’au moins 7 %. Pourtant, encore une fois, une autre grande société dans cette province vient de construire un siège social. Et c’est “oh, nous ferions mieux de l’évaluer à 75 pour cent de la valeur du marché, afin d’aider cette société milliardaire à être compétitive, à pouvoir être compétitive sur le marché mondial”. Ils utilisent ce genre de discours. C’est simple : nous avons besoin que chacun paie sa juste part d’impôts. Et ce n’est pas ce qui se passe ici au Nouveau-Brunswick.
Coop Média NB : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire au sujet de la situation actuelle de la grève ?
Steve Drost : J’aimerais simplement que cette province revienne à une situation normale. Nous avons traversé une période tellement difficile. Je suis de tout cœur avec les hommes et les femmes des services publics qui ont travaillé tout au long de cette pandémie. Ils n’ont pas eu de salaires équitables depuis des années et des années. Nous devons trouver des moyens de les appuyer, de les chérir et de les embrasser, car ce sont vraiment des héros. La façon dont ils sont traités par le premier ministre Higgs et ce gouvernement conservateur est vraiment, vraiment inquiétante. Ce n’est pas une façon de traiter les citoyennes et les citoyens de votre province. J’espère donc que nous pourrons bientôt obtenir un contrat, mettre cette affaire derrière nous et laisser ces travailleuses et travailleurs continuer à faire ce qu’ils veulent faire. Et peut-être auront-ils aussi un peu de temps pour profiter de leur famille.
Stephen Drost est le président du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) du Nouveau-Brunswick, le plus grand syndicat du secteur public de la province. Le SCFP NB représente environ 28 000 travailleurs, dont 22 000 sont actuellement en position de grève légale.
Susan O’Donnell écrit pour Coop Média NB.