J’ai pris connaissance avec grand intérêt du rapport sur la révision 2021 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick déposé récemment par les Commissaires Yvette Finn et John McLaughlin. Tout d’abord, je reconnais que la rédaction d’un tel rapport n’est pas chose facile dans le contexte du Nouveau-Brunswick, où, même après plus de 50 ans de bilinguisme officiel, plusieurs fausses conceptions et une incompréhension de ce que l’égalité des langues officielles veut dire, existent toujours au sein d’une proportion importante de la population. Cela explique fort probablement l’approche prudente favorisée par les deux commissaires. D’ailleurs, lorsque nous comparons ce rapport au projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada, déposé par la ministre fédérale responsable des langues officielles Mélanie Joly il y a quelques mois, nous ne pouvons que conclure qu’il est moins ambitieux que ce que propose le fédéral.
Le rapport aborde les thèmes suivants :
- Structures essentielles d’une gouvernance efficace;
- Langue de service et langue de travail dans la fonction publique;
- Services de santé
- Foyers de soins
- Municipalités
- Immigration
- Révision de la Loi.
En ce qui concerne les structures de gouvernance, les deux grandes innovations du rapport sont les recommandations pour la création d’un ministère des langues officielles et d’un comité permanent des langues officielles à l’Assemblée législative.
Le rôle du nouveau ministère serait de servir de centre de ressources pour appuyer les diverses institutions assujetties à la Loi. Ce ministère relèverait du premier ministre, qui en vertu de l’article 2 de la Loi, est responsable de son application. Cette nouvelle entité serait chargé de veiller à ce que la désignation des exigences linguistiques des postes de la fonction publique, l’organisation de la langue de travail et de service, le processus d’évaluation des compétences linguistiques et l’apprentissage des langues officielles, entre autres, soient mis en oeuvre selon « des processus stratégiques rigoureux. »
Bien qu’il faille féliciter les commissaires pour cette recommandation, il faudra néanmoins demeurer vigilants, si jamais elle est retenue par le gouvernement, afin de s’assurer que ce nouveau ministère ait les moyens financiers nécessaires et les ressources humaines requises pour mener à bien son mandat. Il ne faudrait pas non plus que le budget requis pour créer ce ministère soit une occasion d’amputer celui du Commissariat aux langues officielles, lequel est déjà insuffisant pour la tâche à accomplir. De plus, nous devrons nous assurer que ce nouveau ministère n’ait pas pour conséquence de « ghettoïser » les langues officielles et de déresponsabiliser les autres ministères et institutions quant à leurs obligations en la matière.
Finalement, étant donné les commentaires souvent répétés par le premier ministre contre une augmentation de la bureaucratie provinciale, il m’apparaît peu probable que cette recommandation voit le jour dans l’immédiat. Mais, on ne sait jamais.
En ce qui concerne la création d’un comité permanent des langues officielles à l’Assemblée législative, je félicite les commissaires de l’avoir proposé. Ce comité permettra de débattre ouvertement des questions de langues officielles et de faire les suivis que ce dossier requiert. Toutefois, il ne faudrait pas voir dans la création de ce comité une réponse à tous nos problèmes en matière de droits linguistiques. Le fait que la classe politique à Fredericton n’ait pas une très grande connaissance de ce dossier pourrait venir compliquer le fonctionnement du comité. De plus, ce comité pourrait devenir un lieu idéal pour les opposants au bilinguisme, leur donnant un forum pour faire valoir leur point de vue. Toutefois, malgré ces quelques points négatifs, l’idée de la création de ce comité a beaucoup de mérite.
Je ne peux pas cependant me réjouir de la section qui touche aux pouvoirs du Commissaire aux langues officielles. L’occasion est ratée pour donner plus de mordant à ce poste, comme cela est recommandé dans le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada. Malheureusement, le comité se contente de recommander d’accroître la visibilité des rapports d’enquête du Commissariat, sans plus. Je n’ai rien trouvé dans le rapport quant à l’augmentation du pouvoir pour le/la commissaire, notamment par la reconnaissance de son droit d’intenter des poursuites judiciaires. Le rejet de la recommandation visant à donner au Commissaire la possibilité de conclure des accords de conformité avec des institutions récidivistes, manquant à leurs obligations linguistiques, est aussi très décevant.
En ce qui concerne la langue de travail dans la fonction publique, les recommandations du rapport sont elles aussi décevantes. Le rapport ne cherche pas à rendre plus claires les dispositions de l’article 5.1 de la Loi, ni à reconnaître expressément dans la loi le droit pour les fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix, comme le fait la Loi sur les langues officielles du Canada. Tout au plus fait-il des suggestions pour améliorer la « politique » sur la langue de travail, suggestions qui demeurent pour l’essentiel assez prudentes et générales. Pour les commissaires, le problème à ce niveau semble se résumer à un problème de mise en œuvre et non de droit.
Les recommandations concernant les services de santé ne sont pas nécessairement innovatrices puisque depuis 2002, les régies, les hôpitaux et les établissements de santé ont accepté d’être soumis à la Loi, malgré la très grande ambiguïté de l’article 33, qui décrit leurs obligations. Le rapport aura cependant le mérite d’offrir la possibilité de clarifier cette disposition en plus d’en élargir un peu la portée. C’est d’ailleurs la même chose en ce qui concerne les municipalités. Il n’y a rien de nouveau, mais les recommandations visent à clarifier certaines ambiguïtés.
La recommandation concernant les foyers de soins a le potentiel d’être la plus importante du rapport. Je dis bien « a le potentiel », car l’adoption par le gouvernement de cette recommandation est loin d’être chose faite. Même si elle était retenue, sa mise en œuvre risque d’être reléguée aux calendes grecques, car les commissaires eux-mêmes reconnaissent qu’il faut dans ce secteur appliquer une politique graduelle, à petits pas, étant donné les défis auxquels sont confrontés les foyers de soins. Je rappelle également que cette recommandation répond à des demandes faites par la communauté acadienne depuis 2002 et à deux rapports du Commissariat aux langues officielles. De plus, malgré l’approche prudente du rapport, je doute que cette recommandation soit retenue par le gouvernement.
Finalement, en ce qui concerne la révision de la Loi, le comité recommande que le délai de dix ans soit ramené à cinq ans. Je n’ai aucun problème avec cette recommandation, mais je me demande si les intervenants et le milieu politique seront en mesure de maintenir un intérêt pour ce dossier si on exige qu’ils recommencent le travail tous les cinq ans. Toutefois, l’idée vaut la peine d’être essayée.
Il y a certainement de grands oubliés dans ce rapport, notamment l’immigration, une demande de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick que les commissaires n’ont pas jugé bon de retenir.
Un autre enjeux absent, encore plus important à mon avis, et qui malheureusement a aussi été délaissé par nos organismes acadiens, est une reconnaissance que la communauté qui est en situation de vulnérabilité au Nouveau-Brunswick et qui a besoin d’appui, c’est la communauté francophone. On sait que la communauté francophone de la province fait face à des défis et à des tendances lourdes sur le plan démographique et que, si rien n’est fait, son poids démographique et politique au sein de la province continuera à diminuer. Dans ce contexte, il aurait été approprié de recommander que le gouvernement provincial prenne l’engagement de soutenir et d’appuyer les institutions qui desservent les francophones de la province. Un appui nécessaire pour favoriser le développement du plein potentiel de la communauté francophone en appuyant ses institutions en éducation (de la garderie au postsecondaire), en santé, en immigration, dans les domaines de la culture, de la justice, etc.
On me dira que la Loi reconnaissant l’égalité des communautés linguistiques officielles joue déjà ce rôle, mais cette loi méconnue et peu utilisée aurait pu jouir d’un regain de vie par son fusionnement avec la Loi sur les langues officielles.
Ceci étant dit, le rapport demeure un rapport. Le plus important reste à venir. En effet, c’est maintenant au premier ministre Higgs d’agir et sur ce plan vous me permettrez d’être un tantinet pessimiste, mais je peux me tromper. Peut-être voudra-t-il nous surprendre.
Michel Doucet, c.c., o.n.b., c.r., o.f.a., est professeur émérite en droit.