Lorsque le Nouveau-Brunswick a commencé à ressentir les effets de la COVID-19, l’une des premières réactions des gens a été de réfléchir à la provenance de leur alimentation et de tenter de se protéger d’une éventuelle pénurie. Les revenus de plusieurs fermes ont connu des hausses fulgurantes en l’espace de quelques semaines puisque plusieurs personnes ont pensé que la meilleure option pour s’approvisionner en nourriture à court terme était de se tourner vers des sources locales. Malgré que nous n’ayons pas fait face à de graves pénuries alimentaires ni à la faim généralisée pendant cette période, la pandémie a tout de même mis en lumière les risques auxquels nous sommes exposé·e·s en raison de la forte globalisation du système agroalimentaire.
Par exemple, la majorité des viandes que nous consommons ne provient pas de bétail élevé dans la province et encore moins abattu et transformé ici puisque la province n’a pas d’abattoir inspecté au niveau fédéral pour le porc, le bœuf ou l’agneau pouvant préparer des produits destinés à la vente dans les supermarchés. Le fait que la majorité des denrées alimentaires consommées au Nouveau-Brunswick arrive par camion, bateau ou avion, nous expose à d’importants délais dus à des éclosions de COVID-19 ou à la fermeture des frontières, et ce, sans compter les défis liés aux changements climatiques ici ou ailleurs dans le monde. On sait depuis plusieurs années que les seules récoltes où le Nouveau-Brunswick est autosuffisant sont les pommes de terre, les canneberges, les bleuets et le sirop d’érable, en plus des productions ou la vente et le prix sont assurés sous la gestion de l’offre comme c’est le cas pour le lait, la volaille et les œufs. Et, même dans ces cas précis, par manque de capacité de transformation, nous ne sommes toujours pas en mesure de garantir que les tartes aux bleuets ou les frites en sacs proviennent de récoltes d’ici.
Dans l’urgence et suite à quelques réunions avec les différents groupes de commodités et les deux organisations agricoles accréditées, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a mis sur pied en juillet 2020 un comité qui traite de la question de l’autosuffisance alimentaire de la province. La première réunion de ce comité n’a eu lieu qu’en novembre 2020 et c’est à ce moment que les objectifs furent communiqués aux partenaires dont l’Union nationale des fermièr·e·s de la province (UNF-NB). L’intention du comité est de « Fournir une rétroaction au ministère de l’Agriculture, de l’Aquaculture et des Pêches (MAAP) concernant les activités définies dans le plan d’action intitulé Améliorer l’autosuffisance alimentaire au Nouveau-Brunswick et de formuler des recommandations au Ministère relativement aux questions importantes pour l’autosuffisance et la résilience du système alimentaire du Nouveau-Brunswick. »
Il semblerait que beaucoup des travaux des dernières années aient été réalisés par l’entremise de différents ministères puisque ces initiatives sont en grande partie méconnues du public.
Un changement de cap s’impose
La stratégie sur les aliments et boissons locaux 2021-2025 a été lancée mais le doute persiste par rapport à sa capacité de réellement nous amener vers l’autosuffisance. Bien qu’importante, pour l’instant on sent que cette stratégie sert en grande partie à mettre de l’avant des produits locaux sur les médias sociaux. Une transition en profondeur requiert une compréhension de la souveraineté alimentaire ainsi que la possibilité de se donner les moyens idéologiques, politiques et financiers pour y arriver. Sans quoi, le succès du comité se mesurera davantage par une mise à jour du modèle de consommation alimentaire en utilisant les données de 2019 que par des accomplissements globaux touchant réellement les néo-brunswickois et néo-brunswickoises.
Sans une réelle vision politique tenant compte des liens entre un revenu de base garanti, la pénurie de main d’œuvre, l’inflation et les législations qui découragent les fermes de produire (p. ex. un système de gestion de l’offre inaccessible et des chiffres de production hors quota de 200 poules ou 25 dindes qui sont insuffisants pour vendre sur le marché de proximité), les résultats auront peut-être un impact sur la vie de certain·e·s citoyen·ne·s, mais ne mèneront pas vers une autosuffisance véritable.
On peut difficilement s’attendre à des changements transformateurs au niveau de la production alimentaire alors que nous sommes l’une des seules provinces sans formation agricole, qui n’offre pas de retour d’impôt ni d’incitatifs financiers aux personnes désirant se lancer en agriculture, et qui ne tente pas concrètement de soutenir les fermes existantes en créant une politique d’achat local dans ses institutions publiques.
Si l’on cherche à augmenter la production alimentaire au Nouveau-Brunswick sans encourager la croissance de nos fermes existantes ou la création de nouvelles, on rate la cible. En fait, aucun des objectifs du plan d’action sur l’autosuffisance ne parle de qui devrait produire la nourriture pour assurer cette autosuffisance. La stratégie telle que présentée considère que d’avoir aussi peu qu’une ou deux grosses compagnies qui assurent la production serait une réussite — le MAAP se félicitait que la production de légumes ait augmenté de 24% en 2021 — mais est-ce que la consommation de légumes locaux a elle-même augmenté ou est-ce qu’on continue de vivre dans une province qui valorise davantage l’agriculture pour sa capacité d’exportation que pour celle de nourrir ses citoyen·ne·s? On ne peut parler d’autosuffisance sans parler de qui produira ces aliments dans une province autosuffisante. Si le seul objectif est de mettre sur le marché plus de fèves transformées par Oxford Foods, compagnie Néo-Écossaise, ou encore plus de laitues hydroponiques qui n’auront jamais puisé de nutriments dans nos sols, il serait mieux de le préciser. Ainsi, les gens qui voient un avenir où des milliers de petites fermes se partagent la tâche de nourrir leurs communautés comprendront que leurs énergies seront mieux investies dans d’autres domaines ou dans d’autres régions.
Une appellation d’origine comme levier d’action et de communication
Depuis plus d’une décennie, l’UNF-NB demande la création d’un logo Nouveau-Brunswick qui servirait à identifier les aliments produits ici. Pour diverses raisons, incluant de ne pas vouloir froisser les plus grosses entreprises qui empaquettent ou vendent autant des produits d’ici que d’ailleurs, l’idée n’a pas trouvé preneur. Malgré les avancées de l’alimentation locale au NB, la réalité est que les consommateurs et consommatrices manqueront de temps ou ne prendront pas le temps de faire les recherches nécessaires pour savoir si un produit a réellement été récolté ou élevé au NB. Autant dans les épiceries que dans les marchés fermiers, on utilise l’image des fermières et fermiers du NB pour vendre des produits qui ne sont pas toujours d’ici et la population soit ne s’en rend pas compte, soit y est indifférente, ou encore accepte la situation parce cela est plus pratique et abordable que de faire l’effort additionnel pour trouver, acheter et cuisiner des aliments locaux. Ceci étant dit, il y a quelques années, l’idée de logo a refait surface et le MAAP a fini par collaborer avec une firme de consultation en design et image de marque afin d’y travailler plus sérieusement. Ce travail n’a pas encore été rendu public, mais les premiers efforts sont prometteurs.
L’UNF-NB souhaiterait voir le gouvernement instaurer une appellation qui, bien plus qu’un simple logo, utilisable par qui que ce soit, inspirerait une réelle confiance de la part du public que les denrées qualifiées sont produites au Nouveau-Brunswick, et qu’il n’y ait aucune chance qu’on la retrouve sur des bananes ou des ananas, ni des courgettes en janvier ou des fraises fraiches en mars. Ce processus de certification, similaire aux produits « Aliments du Québec » ou « Aliments préparés au Québec », en plus de l’assurance qu’elle fournirait aux consommateurs et consommatrices, contribuerait à l’éducation sociale face à la production agricole et pourrait devenir, si elle est bien utilisée, un puissant outil de marketing.
Un logo pourrait être un premier pas important, mais il ne faut pas croire qu’une fois celui-ci lancé, le gros du travail est fini. Sans une surveillance et un suivi constants auprès des producteurs et productrices, sans paramètres d’utilisation bien établis, le logo se retrouvera comme tout ceux auparavant, utilisé sur une petite poignée de produits lorsque c’est pratique pour les commerçant·e·s. Ce n’est qu’une partie de la stratégie vers une autosuffisance ou, si l’on ose y croire, une souveraineté alimentaire, mais c’est peut-être l’un des piliers les plus importants puisque grâce à un logo Nouveau-Brunswick, on peut projeter la valeur, l’importance et la fierté qu’on donne aux aliments produits ici. La mise en valeur de produits existants, qui contribuent non seulement à la santé de nos corps, mais qui peuvent également être extrêmement bénéfiques pour nos communautés et nos sols, permettra de générer un engouement pour d’autres produits et d’encourager de nouveaux producteurs et productrices de se lancer si la demande offre la possibilité d’un revenu décent.
Le logo ne représente qu’un des points prioritaires pour le comité sur l’autosuffisance alimentaire, mais l’importance qu’on y accordera permettra de déterminer si le gouvernement croit réellement à un changement de cap idéologique vers une production par et pour les néo-brunswickois·e·s. Sinon, il ne s’agirait que d’un moyen pour alléger temporairement les peurs des citoyen·ne·s par rapport à d’éventuelles pénuries durant la pandémie.
Rébeka Frazer-Chiasson est fermière à la Coopérative Ferme Terre Partagée et siège sur le conseil d’administration de l’Union Nationale des Fermier·e·s du Nouveau-Brunswick qui défend les intérêts des petites et moyennes fermes de la province et milite pour des politiques qui nous permettraient d’avancer vers une réelle souveraineté alimentaire.