Avertissement : Cet article contient une description d’un attentat antiféministe ainsi que des mentions de violences contre les femmes et les minorités de genre.
Le 6 décembre 1989, un homme entre à l’École polytechnique de Montréal. Il y assassine 14 femmes. C’est la tuerie en milieu scolaire la plus meurtrière de l’histoire du Canada. Les mots qu’il prononce au moment d’ouvrir le feu : « J’haïs les féministes ».
Il aura fallu 30 ans pour que la tuerie de polytechnique soit reconnue pour ce qu’elle était : un féminicide. Pourtant, la dimension misogyne et antiféministe du massacre avait été mise de l’avant presque immédiatement, et ce, par de nombreuses voix. Or, celles-ci n’ont pas trouvé d’écho dans les médias, qui ont préféré parler du contrôle des armes à feu, de la violence généralisée dans la société ou encore de la psychologie du tueur.
Pendant ce temps, en 2020, au Canada, 160 femmes sont mortes des suites d’un acte violent, ce qui équivaut à une femme tuée tous les deux jours et demi. La violence contre les femmes et les filles autochtones continue elle aussi, et ce, à un taux six fois plus élevé que le reste des Canadiennes.
Des violences moins « flagrantes » ont aussi lieu : des militantes sont traitées de « maudites féministes »; des personnes sont harcelées à la sortie d’un bar LGBTQIA2+; une femme ou une fille se fait siffler en marchant au centre-ville; une femme a peur de quitter son partenaire, car il menace de la ruiner.
Si ces événements sont souvent rapportés comme étant isolés les uns des autres, faisant partie de catégories différentes, ils ne le sont pas. Il ne s’agit pas de cas uniques, d’événements tragiques ayant comme éléments déclencheurs des facteurs distincts. Il ne s’agit pas de crimes passionnels, de chicanes domestiques ayant mal tourné, ou de blagues inoffensives envoyées en ligne sans mauvaises intentions.
Non, cette violence, elle est systémique, elle est récurrente et elle existe partout. Elle ne se produit pas en vase clos, au contraire : elle s’insère dans un contexte plus large et dans ce qu’on appelle un continuum de violence. Et cette violence, elle vise les femmes et les minorités de genre, et elle est basée sur leur genre.
Féminicide : un nom qui en dit long
Cette violence, il faut la nommer. D’où la popularisation, dans les années 80, du terme « féminicide ». Le féminicide est souvent défini comme le meurtre de femmes ou de filles lié au fait qu’elles sont des femmes. Dans la grande majorité des cas, cette violence contre les femmes est perpétrée par des hommes : en 2019, 87 % des accusés de féminicide au Canada étaient des hommes. Le plus souvent, ces hommes font partie de l’entourage proche de la victime.
Le terme féminicide permet d’une part de témoigner de l’asymétrie qui existe entre le meurtre des hommes et celui des femmes, et d’autre part de situer le phénomène dans un « continuum de violence et de terreur incluant une large variété d’abus verbaux et physiques, et s’exerçant spécifiquement à l’endroit des femmes ». Mais surtout, ce terme permet de nommer et d’étudier la cause commune de ce continuum de violence, soit l’inégalité entre les genres.
Manifestations distinctes, dénominateur commun
La notion de continuum de la violence est une notion essentielle, car elle permet de lier les différentes formes de violence genrées à un dénominateur commun. Le continuum de violence dont sont victimes les femmes est perpétué par des phénomènes encore répandus dans notre société, comme la misogynie (haine des femmes), le machisme (croyance en la supériorité des hommes), le sexisme (discrimination basée sur le sexe) et l’antiféminisme (contre-mouvement, souvent organisé, s’opposant au mouvement des femmes).
Ainsi, certaines violences peuvent avoir une racine centrale : l’inégalité entre les genres. D’où l’importance de reconnaître certains actes de violence comme étant fondamentalement genrés! Sans quoi, comment arriver, en tant que société, à y apporter une réponse? Nous devenons certes de plus en plus habiles à parler de violence conjugale dans l’espace public, mais nous parlons rarement des attitudes et des phénomènes qui peuvent mener à ces abus. Il s’agit d’un travail de fond, mais d’un travail nécessaire.
Aujourd’hui, il est important que la discussion sur la violence conjugale fasse partie d’une discussion plus large sur la violence basée sur le genre. Il est d’ailleurs essentiel de noter que d’autres formes d’oppression – le racisme, la pauvreté, la situation de handicap – augmentent la marginalisation des femmes et par la même occasion, leur risque de subir de la violence.
Nommer pour guérir, nommer pour prévenir
À partir du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, jusqu’au 10 décembre, Journée internationale des droits de la personne, 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre servent à mettre en lumière la prévalence de la violence faite aux femmes et aux minorités de genre. Ils sont importants pour contrer les stéréotypes genrés qui peuvent mener à ce type de violence, mais aussi pour sensibiliser les instances décisionnelles sur l’urgence d’agir sur cet enjeu.
Car il s’agit d’un enjeu qui se doit d’être politisé : les féminicides et la violence fondée sur le genre continuent d’être à la hausse partout dans le monde – encore plus dans le contexte de la COVID-19, où les femmes se retrouvent confinées ou en situation précaire. Des actions concrètes s’imposent. Au Nouveau-Brunswick par exemple, pour garantir le développement de logements abordables comme moyen de prévention de féminicides. Nos gouvernements en tiendront-ils compte dans la relance?
« If there’s no name for a problem, you can’t see it. If you can’t see it, you can’t solve it. »
« Si l’on ne nomme pas un problème, on ne peut le voir. Si l’on ne peut le voir, on ne peut le résoudre. » (traduction libre), Kimberlé Crenshaw
Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick est un organisme féministe rassembleur et inclusif qui agit en faveur d’une refonte radicale de la société en appuyant les luttes contre toutes les oppressions.