NDLR : Le comité de rédaction de la Coop Média NB est attristé par le départ de l’auteure acadienne, Antonine Maillet, née le 10 mai, 1929, à Bouctouche et décédée le 17 février, 2025, à Montréal. La grande dame des lettres acadienne laisse un héritage prodigieux à son peuple.
« Y a quelque chose dans la terre qui t’as mis au monde qui te ressemble »
– Antonine Maillet
J’ai 13-14 ans, dans l’auditorium de Mathieu-Martin. Je ne me souviens plus du pourquoi, ni tout à fait du comment, mais je me souviens du sentiment. De l’émerveillement, de comprendre l’expression « boire des paroles ». Sans doute une des rencontres les plus marquantes, la conférence la plus mémorable de mon parcours scolaire. Une des seules dont la trace reste imprimée avec cette force.
Certains parlent de monuments, j’aime bien l’image du phare. Pas parce que c’était son lieu de résidence quand elle venait en Acadie, mais parce qu’un phare est une forme de guide, de lumière dans la nuit qui nous pousse à nous positionner. Une œuvre radicale comme la sienne, avec la reconnaissance qu’elle a eue, force tout créateur à se positionner, que ce soit dans son sillon ou en opposition, et dans un cas comme dans l’autre, amène ce que la création amène de mieux: d’autres créations, d’autres personnes qui créent.
Son legs est immense, et ne se mesure pas qu’en livres, mais aussi en événements, en écoles, en salles, en prix, en rayonnement, en permissions données, en tapes dans le dos, sceaux d’approbation.
Antonine était d’une érudition et d’une lucidité rare, tout comme d’un remarquable charisme dont on finissait par mesurer la force lorsqu’on la rencontrait ou la voyait en action. C’est aussi ce qui s’éteint avec elle. Un des grands moments de ma vie demeure d’avoir pu l’interviewer avec Eugène Gallant le soir du lancement de La petite histoire de la Sagouine en 2017. J’avais devant moi deux des trois figures ayant donné vie à ce qui incarne à mon sens le mieux une figure mythique de la culture acadienne et franco-canadienne du siècle dernier, La Sagouine. Le défi le plus important était d’arriver, à mon sens, à faire en sorte que ces deux personnes, qui parlaient de ce processus depuis plus de 4 décennies, n’aient pas le sentiment d’avoir à se répéter.
Une phrase m’est restée de cet entretien, qui venait avec sans doute l’inévitable et parfois cruelle ingratitude vouée au côté historique de son œuvre. Je cite de mémoire: « Vous savez, on m’a parfois reproché de donner dans le folklore, mais il reste que le sens premier du folklore, c’est le chant du peuple. Alors si ma voix a permis au peuple de chanter, et de se faire entendre, n’était-ce pas là plutôt une victoire ».
Le chant du peuple se fera sans doute plus triste avec le deuil, mais la voix demeure, et saura continuer de se faire entendre, avec et au-delà des mots. On a beau dire qu’Antonine racontait la survivance, elle racontait aussi et surtout la vie, l’acharnement à vivre, et la joie avec laquelle s’appliquer à le faire, surtout (et malgré) les troubles que les époques peuvent déposer sur notre chemin.
En ce sens, à quelques transpositions près, elle demeure d’une formidable actualité.
Mes condoléances à toutes les personnes qui l’ont aimée, qui la pleurent.
Né à Moncton, Gabriel Robichaud est un poète, écrivain, acteur et dramaturge acadien dont le travail est reconnu nationalement et internationalement. Ce commentaire a été publié sur Facebook, le 18 février, 2025.