Le 25 septembre dernier se tenait dans plusieurs villes canadiennes et dans le monde la 3e marche annuelle pour « exiger de nos dirigeants [et dirigeantes (NDLR)] qu’ils adoptent un revenu de base fédéral comme moyen d’instaurer une société plus saine, plus innovante et plus juste. ».
Si l’idée de mettre en place un revenu de base ne date pas d’hier, elle gagne en popularité dernièrement dans le contexte de la pandémie. S’il n’est pas surprenant qu’un média comme NB Media Co-op ait déjà abordé cette mesure qui se fait attendre (voir ses articles en mars et juin 2020), il est plus étonnant de la voir traitée par plusieurs médias dominants. L’Acadie Nouvelle par exemple a consacré un dossier à ce sujet en mars 2021 et deux autres articles en avril et en septembre 2021.
Les effets de la pandémie sur l’économie et le marché du travail ont mis à jour avec encore plus de netteté les inégalités économiques et les limites du filet de sécurité sociale. C’est ce qui a motivé le gouvernement canadien à implanter la Prestation canadienne d’urgence (PCU), suivie d’autres programmes de relance économique afin de venir en aide à aux personnes ayant perdu leurs sources de revenus pendant la pandémie. Ces mesures ont inspiré certains intervenants et intervenantes à proposer l’adoption d’un revenu de base permanent pour l’ensemble de la population.
Une note de breffage du groupe de travail de la Société Royale du Canada sur la COVID-19 propose au gouvernement canadien d’offrir un revenu de base aux Canadiennes et Canadiens. Celui-ci s’inspireraient de la mesure fédérale du panier de consommation, qui sert à calculer le seuil en-dessous duquel une personne ou un ménage est en situation de pauvreté. La mise en place d’un revenu de base garanti contribuerait ainsi à réduire, voire à éliminer la pauvreté au pays, qui est un objectif du gouvernement canadien.
Le gouvernement canadien examine d’ailleurs ce type de mesure. Une étude du Comité sénatorial permanent des finances nationales, publiée en juillet 2020, recommandait que « le gouvernement du Canada, de concert avec les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones, doit envisager de façon exhaustive, juste et prioritaire l’instauration d’un revenu de base garanti ».
En avril 2021 le Bureau du directeur parlementaire du budget présentait une étude afin d’évaluer les coûts de la mise en place d’un tel régime. Un projet pilote mené en Ontario auprès d’un groupe de la population ayant bénéficié d’un revenu de base a servi à réaliser cette étude.
Un projet de loi a même été déposé pour obliger le ministre des finances canadien à établir une « stratégie nationale visant à évaluer des modèles de mise en oeuvre d’un programme de revenu de base
garanti dans le cadre de la stratégie du Canada en matière d’innovation et de croissance économique ».
Le projet de loi n’a pas été adopté, des élections ont eu lieu, mais nous pouvons penser que le gouvernement actuel donnera suite à ce projet de loi et que la mobilisation citoyenne se poursuivra pour rappeler aux élues et élus leurs promesses envers l’élimination de la pauvreté.
Un tel régime de revenu apparaît pour plusieurs acteurs sociaux comme une solution pour atténuer les effets des crises que traversent régulièrement nos sociétés. La première crise qui vient à l’esprit est bien sûr celle que provoque la pandémie que nous vivons, mais pensons également aux crises cycliques de l’économie.
Selon certaines analyses, les raisons invoquées pour l’adoption d’un revenu de base sont davantage structurelles que conjoncturelles. Les appels pour ce type de régime se font entendre dans un contexte où l’emploi serait appelé à jouer un rôle moins central dans l’intégration sociale des citoyennes et citoyens, en raison notamment de l’impact qu’aura, ou a déjà sur le travail l’automatisation d’une part de plus en plus grande des tâches dans certains secteurs d’emplois grâce à l’intelligence artificielle. Une étude de Statistique Canada montre que ces innovations technologiques mettent déjà à risque certains pans du marché de l’emploi.
Ce processus d’innovation technologique nous ferait entrer dans une société où le travail serait profondément transformé. Une étude du Groupe de travail sur l’analyse prospective du Centre national de recherche du Canada portant sur l’avenir technologique du Canada conclut qu’un revenu de base pourrait « non seulement contribuer à faciliter la transition de la main-d’oeuvre et à atténuer la pauvreté, mais aussi à encourager le travail créatif plus efficacement que les récompenses pécuniaires traditionnelles ». Indépendamment des considérations économiques, certaines personnes croient que chaque citoyenne et chaque citoyen devraient bénéficier de conditions de vie décentes sans que ces conditions soient conditionnelles à l’obtention d’un emploi. Chaque personne devrait avoir droit à un revenu décent pour pouvoir se procurer les biens essentiels pour vivre dans une société. Ces besoins de base comblés, une personne pourrait participer et contribuer à la vie sociale de manière plus créative et plus libre (Ferry, 1997).
Un autre facteur structurel qui nous amène à repenser le modèle de redistribution des richesses est la persistance des inégalités économiques qui montre que la théorie du ruissellement de la richesse ne fonctionne pas. Tant au Canada qu’au Nouveau-Brunswick, l’indice de Gini pour mesurer ces inégalités demeurent relativement stable depuis l’an 2000. S’en remettre à cette théorie c’est en fait accepter qu’une partie de la population soit condamnée à la pauvreté. À défaut d’une alternative sérieuse pour contrer la pauvreté, le revenu de base garanti est la solution la plus prometteuse.
L’étude du Bureau de directeur parlementaire du budget mentionnée plus haut montre que l’adoption d’un régime de revenu de base garanti réduirait la pauvreté du tiers (32,6 %) au Nouveau-Brunswick et de près de la moitié (49,0 %) au Canada. Cependant, dans le dossier préparé par l’Acadie Nouvelle au printemps 2020, nous apprenions que le gouvernement de la province se dit peu intéressé par ce type de mesure, alors que le Parti vert appuie cette mesure et que le Parti libéral affirme qu’on doit y réfléchir sérieusement. Il en revient au gouvernement canadien d’exercer un leadership fort pour implanter un tel régime de redistribution dont l’avantage certain est de favoriser l’inclusion sociale et le respect de la dignité humaine pour toutes les citoyennes et tous les citoyens.
Diplômé en sociologie, Éric Forgues est un chercheur qui s’intéresse aux minorités linguistiques, à la vie démocratique, à la gouvernance et à la justice sociale.