La ministre de la Santé, Dorothy Shephard, a présenté le 17 novembre dernier son Plan de santé, un document qui fait suite aux consultations publiques qu’elle a tenues au printemps 2021. Ce document intitulé: « Stabilisation des soins de santé : Un appel à l’action urgent », contient très peu d’action immédiate.
Il faut de prime abord noter que la ministre ne fait aucune référence aux droits qu’a la communauté linguistique francophone de gérer et gouverner ses institutions de santé, tout comme elle ne fait aucune mention du réseau de santé Vitalité.
Pour arriver à ce plan, la ministre a fait plus d’une vingtaine de consultations virtuelles, avec des groupes d’intérêts et avec les gens des communautés. Nous avons assisté à toutes les rencontres publiques et lors de toutes les rencontres anglophones ou francophones, rurales ou urbaines, les commentaires suivants ont fait consensus :
- La population demande une décentralisation des décisions au sein de la régie:elle veut aussi le retour des directions d’hôpitaux, qui sont actuellement des édifices sans âme;
- La gouvernance de la régie est problématique puisque le PDG est l’employé du ministre;
- Le maintien et l’amélioration et une augmentation des services offerts dans nos institutions;
- Le recrutement doit se faire localement, en consultation avec la communauté;
- Il faut des incitatifs pour attirer et retenir le personnel en région.
La population a sans doute été écoutée, mais elle n’a certainement pas été entendue! Non seulement le document ne comprend que très peu de mesures concrètes, mais il faut parfois lire entre les lignes pour déduire que les services actuels ne seront pas nécessairement toujours livrés là où ils le sont actuellement.
Que veut bien dire ce principe énoncé dans le document « Les citoyens recevront les soins appropriés, au bon moment au bon endroit, par le bon fournisseur.»? Est-ce que cela veut dire que nous pourrions recevoir un service à l’autre bout de la province par un fournisseur qui ne parle pas notre langue? Rien ne garantit que nous serons soignés près de chez nous.
La population aura probablement à voyager pour recevoir les soins et il est fort à gager que peu de gens de St-Jean auront à se faire soigner à Campbellton, par exemple. Le réseau anglophone ayant la majorité des soins secondaires et tertiaires, souvent en double et en triple, ce sont les malades et les patients du réseau Vitalité qui auront à se déplacer.
Pire, la ministre nous dit que les langues officielles font maintenant partie des différences qui sont considérées dans le cadre de l’inclusivité. Le droit à être servi dans la langue officielle de son choix est devenu, du jour au lendemain, une différence que le système doit tenter d’inclure ou de respecter. Rien de surprenant pour une ministre unilingue anglophone et un premier ministre qui soutient que les droits linguistiques ont été interprétés trop largement par les tribunaux.
L’accès proposé pour les patients orphelins est une approche qui semble logique, mais qui soulève deux questions fondamentales. Pourquoi doit-on donner la gestion de cette plateforme à une entreprise privée, et, encore plus important, où prendrons-nous le personnel médical pour offrir ce service, alors qu’il y a pénurie de main-d’œuvre dans notre réseau de santé? On aura beau déshabiller Pierre pour habiller Paul, il est impossible de cloner nos médecins et nos infirmières.
Les libéraux auront de la difficulté à critiquer cette entente puisque ce sont eux qui ont créé la corporation de la Couronne qui au début se nommait Ambulance Nouveau-Brunswick (ANB), et dont ils avaient donné la gestion à Medavie, sans aucun appel d’offres.
En 2017, le ministre de la Santé d’alors, Benoît Bourque, avait ajouté la gestion du Programme Extra-Mural et modifié le nom qui est devenu Extra-Mural/Ambulance Nouveau-Brunswick (EM/ANB). Voilà que maintenant les conservateurs ajoutent la gestion de la plateforme pour les patients orphelins et, semble-t-il, une forme de dossier médical.
La structure même de EM/ANB est un parfait exemple de ce que nous ne devrions pas voir au niveau des conflits d’intérêts et de la transparence. Le ministère de la Santé donne les fonds et les responsabilités à cette société de la Couronne. Et qui fait partie du Conseil d’administration de EM/ANB? Ce sont des hauts fonctionnaires du ministère de la Santé. Pire, EM/ANB a un directeur général qui, par hasard, est le président de Services de santé Medavie Nouveau-Brunswick. Le Conseil d’administration de EM/ANB est formé de huit personnes, dont 6 viennent du ministère de la Santé, et d’une personne de chaque régie de santé. La vérificatrice générale avait émis des préoccupations par rapport à cette structure mais…
Plusieurs composantes du document portent sur des personnes qui relèvent non pas du ministère de la Santé, mais bel et bien du ministère du Développement social. L’intention de garder les personnes âgées chez elles est fort louable, mais il faudra les aider. Nous savons tous et toutes que nous sommes en pénurie de personnel et que le gouvernement Higgs a de la difficulté à payer adéquatement ses employé.e.s, même si ces personnes ont été sur les premières lignes durant la pandémie.
Nous n’avons rien vu dans ce document qui fera en sorte que le nombre de médecins et d’infirmières augmentera. La ministre Shephard n’a rien fait pour régler les injustices créées envers les infirmières francophones, par l’examen d’accréditation NCLEX-NB. Elle a conclu une entente pour augmenter le nombre de sièges pour les étudiant.e.s en médecine avec l’Université Dalhousie, mais rien du côté francophone. Quels seront les avantages pour ceux et celles qui accepteront des postes en région? Elle vient de conclure une entente avec la Société médicale du N.-B. (SMNB), mais quelle est cette entente? Les libéraux avaient eux aussi finalisé un accord avec la SMNB dans le but d’obtenir leur appui pour le transfert de la gestion de l’Extra-Mural à Medavie. Qu’est-ce que la ministre a concédé à la SMNB cette fois-ci?
En conclusion, ce rapport constitue encore une fois une érosion des pouvoirs et des services de la régie de santé de la communauté linguistique francophone, et elle se fera aussi au détriment de la population acadienne francophone et des communautés rurales. Le rôle des régies de santé est de déterminer les besoins en santé et de fournir les services de santé nécessaires, mais elles ont été contournées dans ce document, par le ministère et Medavie, qui prennent plus de place. Sans oublier que lors de la 5e année de l’implantation du Plan, le réseau de santé francophone sera fusionné sous la structure du « Network of excellence » de la ministre Shephard.
Nous devrons être très vigilants au cours des prochains mois, car le gouvernement a appris de l’échec qu’il a essuyé lors de sa tentative d’implanter son plan de santé en février 2020. Maintenant, au lieu de tout faire d’un coup, il y va petit à petit, avec des changements qui, individuellement, ne nous sembleront pas énormes, mais qui en bout de ligne, détruiront les institutions de santé francophones.
Jacques Verge de Dieppe, est secrétaire de l’organisme Égalité, santé en français.