Le 15 décembre les commissaires chargés de réviser la Loi sur les langues officielles ont déposé leur rapport. Cet article, et celui qui l’a précédé, ont été rédigés avant le dépôt du rapport des commissaires. Nous estimons que le contenu de ces articles reste pertinent.
Le 4 août 2002, la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick entrait en vigueur. Elle constituait une réponse, très attendue, aux revendications constantes de la communauté acadienne. La nouvelle loi a pour objectif, entre autres, d’harmoniser les obligations législatives de la province avec ses obligations constitutionnelles énoncées aux articles 16 à 20 de la Charte des droits et libertés. Comme la Loi de 1969 précédait l’adoption de la Charte, elle ne pouvait pas répondre à toutes ces obligations.
Nous avons maintenant eu à peu près vingt années pour évaluer l’efficacité de cette nouvelle loi et dix ans pour évaluer les modifications apportées en 2012.
Or, malgré l’importance de la Loi sur les langues officielles et le fait que le Nouveau-Brunswick se soit déclaré, il y a plus de cinquante (50) ans, comme une province officiellement bilingue, il n’en demeure pas moins que la langue française est toujours en situation de vulnérabilité dans la province.
Certaines tendances lourdes sur le plan démographique (transfert linguistique, naissance, exogamie, structure d’âge, migration) devraient être une source d’inquiétude. Ainsi, bien que la population de langue maternelle française au Nouveau-Brunswick se soit accrue en nombre depuis 1951, sa proportion au sein de l’ensemble de la province a continué à décroître rapidement. Si nous comparons le nombre de personnes qui disent avoir le français comme langue maternelle avec le nombre de personnes qui disent parler le français comme première langue officielle, nous constatons qu’au Nouveau-Brunswick le premier groupe est supérieur en nombre au deuxième. Une telle situation devrait également représenter une source réelle d’inquiétude, puisque, outre le fait que la communauté francophone de la province n’intègre pas les personnes de langue étrangère, de plus en plus de personnes de langue maternelle française adoptent l’anglais comme langue d’usage quotidien au détriment de leur langue maternelle.
Si l’on ajoute à ce portrait un taux de fécondité inférieur au seuil de remplacement, un taux de transfert linguistique frisant les 11 % (dans certaines régions de la province, ce taux est de beaucoup supérieur à ce chiffre), un taux migratoire négatif, une faible capacité d’attirer les immigrants et une population vieillissante, il paraît absurde de ne pas affirmer que ces tendances démographiques lourdes risquent d’entraîner, si rien n’est fait, des effets négatifs sur la vitalité de la communauté linguistique francophone de la province. Sans tomber dans le pessimisme résigné, il paraît sage de s’interroger sur l’existence d’un certain déterminisme social propre à mettre en péril la survie même de la communauté linguistique minoritaire. Pour freiner cette tendance, le gouvernement provincial doit manifester une véritable volonté d’agir afin de procurer à la communauté minoritaire les moyens nécessaires pour redresser au plus vite sa situation démographique actuelle.
En plus de vivre dans un milieu anglo-dominant au sein de sa province, la communauté francophone du Nouveau-Brunswick est largement influencée par la culture anglophone présente partout au Canada et en Amérique du Nord. Dans plusieurs régions de la province, et malheureusement dans plusieurs régions acadiennes, le français est pratiquement inexistant dans le paysage linguistique. Il est donc de la plus haute importance que les décideurs publics acquièrent une compréhension éclairée des effets qu’exerce le milieu majoritaire sur la langue et sur le comportement individuel.
Il n’est donc pas étonnant que, dans un tel contexte, de nombreux membres de la communauté minoritaire préfèrent parler la langue de la majorité dans la sphère publique. Même s’ils savent pertinemment, pour la plupart, qu’ils sont titulaires de droits, ils hésiteront à les invoquer de peur de perturber et de déstabiliser un certain ordre établi et pour ne pas être perçus comme des provocateurs. Au bas mot, un changement radical d’attitude s’impose si nous voulons assurer la pérennité de la langue française au Nouveau-Brunswick. À ce sujet, la reconnaissance et la mise en œuvre des droits linguistiques peuvent servir à rehausser le statut de la langue minoritaire, d’où leur importance dans un contexte comme celui qui existe au Nouveau-Brunswick. Mais, encore faut-il que les instances gouvernementales croient en ces droits et que la communauté francophone veuille bien s’en servir et sur ce plan rien n’est gagné.
Dans le présent processus de révision de la Loi sur les langues officielles, il serait donc approprié de reconnaître explicitement que la langue française est en situation de vulnérabilité et qu’elle doit bénéficier d’un soutien accru de la part des institutions gouvernementales pour assurer son épanouissement et son développement.
Il est souvent difficile pour un membre de la communauté linguistiquement majoritaire de comprendre la situation d’une personne en situation minoritaire. En effet, l’anglophone au Nouveau-Brunswick tient automatiquement pour acquis qu’il sera servi dans sa langue sans délai à l’hôpital, par Ambulance Nouveau-Brunswick et par toutes les institutions provinciales , et ce où qu’il se trouve dans la province. Il lui semble tout à fait normal de recevoir des services dans sa langue des entreprises privées, de travailler dans sa langue, d’avoir accès sans problème aux examens d’accès à une profession dans sa langue ou d’avoir accès dans sa langue à un service de garderie ou à un foyer de soins. Pour le francophone au Nouveau-Brunswick, l’obtention de ces services dans sa langue est souvent aléatoire et les exiger représente un geste politique que plusieurs ne sont, malheureusement, pas prêts à poser.
Dans ce contexte, on ne saurait sous-estimer l’importance de maintenir des institutions fortes pour protéger la langue et la culture de la communauté francophone de la province. La Loi sur les langues officielles doit donc favoriser le développement du plein potentiel de la communauté francophone en appuyant la vitalité de ses institutions. La complétude institutionnelle en éducation (de la garderie au postsecondaire), en santé, en immigration, dans les domaines de la culture, de la justice et j’en passe, doit être non seulement confirmée, mais positivement appuyée par le gouvernement provincial et par la Loi sur les langues officielles.
Pour finaliser la reconnaissance du caractère linguistique distinct du Nouveau-Brunswick reconnu dans la Charte canadienne des droits et libertés, le temps me semble venu de fusionner à la Loi sur les langues officielles, la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick (Loi 88). Cette dernière devrait, dans le contexte néo-brunswickois, jouer un rôle similaire à celui joué par la Partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada. Nous devons donner à cette loi une place plus visible, car elle a été pour le moins oubliée depuis son adoption en 1981.
La Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick présente une vision détaillée de la dualité des communautés linguistiques dans la province. Son préambule précise que l’un des buts du législateur en adoptant cette loi était d’accroître les possibilités pour la communauté linguistique française de tirer profit de son héritage culturel et de le sauvegarder pour les générations à venir. C’est la raison pour laquelle le législateur a jugé qu’il était important de reconnaître le principe de l’égalité de statut des deux communautés linguistiques. Cette loi quasi constitutionnelle doit s’interpréter de façon large et libérale conformément à son objet. Elle doit forcément être contraignante et offrir un moyen pour assurer sa mise en œuvre. La Loi reconnaissant l’égalité des communautés doit fournir un cadre d’action aux institutions publique.
Le processus de révision actuelle doit servir à assurer le maintien et l’épanouissement de la communauté minoritaire. Puisque ce processus ne survient qu’à tous les dix ans, il ne faut absolument pas sous-estimer l’importance de la révision actuelle.
Michel Doucet, c.m., o.n.b., c.r., o.f.a., est professeur émérite en droit.