Deux ans après le début de la pandémie, le Nouveau-Brunswick n’a pas fait de progrès importants afin d’atteindre son objectif de produire une plus grande part de sa nourriture. La province est toujours aussi vulnérable à des pénuries de certaines denrées alimentaires, comme ce fut le cas au début du confinement au printemps 2020. Et à nouveau au cours des dernières semaines, alors que les étagères des épiceries étaient dégarnies en raison des problèmes d’approvisionnement causés par des tempêtes d’hiver.
Kent Coates est un des principaux porte-parole des agriculteurs et agricultrices du sud-est du Nouveau-Brunswick. En 2007, il a abandonné une carrière d’ingénieur pour établir la ferme Nature’s Route à Point-de-Bute, tout près de la frontière de la Nouvelle-Écosse. Chaque semaine, ses légumes biologiques se retrouvent dans les marchés des fermiers de Moncton, de Dieppe et de Sackville. Il est aussi membre du conseil d’administration de la coopérative agricole Récolte de chez-nous, qui gère le Marché des fermiers de Dieppe.
Alors qu’approche le deuxième anniversaire des premiers cas de COVID-19 dans la région, Kent Coates constate que la pandémie n’a pas provoqué de grand bouleversement dans les habitudes d’achat des consommateurs. « Je pense qu’il y a toujours une portion de la communauté qui achète comme ça. Puis je trouve que la portion n’a pas beaucoup changé », note-t-il.
Une transition difficile
Au fil des ans, la ferme Nature’s Route n’a jamais cessé de croître. Aujourd’hui l’entreprise s’étend sur un peu moins de sept hectares, soit 17 acres. Et son propriétaire cherche à l’agrandir davantage. L’été, une vingtaine de personnes y travaillent.
Kent Coates croit fermement que le Nouveau-Brunswick doit produire davantage de nourriture. Mais après 15 ans dans le domaine, il ne réussit pas à faire une percée auprès des grandes chaînes de magasins d’alimentation. « C’est difficile de faire la transition des produits biologiques au marché des fermiers jusqu’à Sobeys. Entre les deux, c’est très difficile! », explique-t-il.
Kent Coates ajoute qu’il est plus facile pour les géants de l’alimentation de s’approvisionner directement auprès d’un grossiste, au lieu de faire appel à une multitude de petits producteurs. « Pour les Walmart, Sobeys et Sysco, c’est toujours plus facile de trouver des produits avec la logistique déjà établie. La logistique, ce n’est pas facile. Et c’est toujours plus facile de faire une commande avec un camion et c’est livré tout ensemble », constate l’agriculteur.
Les gros producteurs, ailleurs dans le monde, ne composent pas avec des hivers rigoureux ou des règlements aussi sévères sur l’utilisation de pesticides, comme le font les petites fermes canadiennes. Kent Coates sait qu’imposer des mesures protectionnistes pour favoriser des agriculteurs d’ici provoquerait une guerre commerciale avec les pays producteurs de fruits et de légumes, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour l’économie.
« C’est compliqué d’adopter des politiques protectionnistes. Mais à quelque part, il y a une ligne que nous pouvons tracer pour appuyer nos producteurs, afin d’aplanir le terrain de jeu. Je veux cultiver des légumes. Il y a une raison pour laquelle je ne suis pas en politique! »
Kent Coates, propriétaire de la ferme Nature’s Route et membre du conseil d’administration de la coopérative La Récolte de chez-nous
Mais au-delà de tous les autres facteurs, le plus grand défi qui freine la croissance des fermes au Nouveau-Brunswick demeure la pénurie de main-d’œuvre. Depuis trois ans, la ferme Nature’s Route a recours à au moins trois travailleurs temporaires étrangers du Mexique pour pallier le manque d’ouvriers et d’ouvrières prêts à se retrousser les manches pour travailler dans des champs de légumes. « S’il y a une chose que le gouvernement peut faire pour nous autres, c’est de changer l’atmosphère pour avoir les travailleurs », conclut ce producteur.
Une plus grande concertation
De son côté, la présidente de l’Union nationale des fermiers au Nouveau-Brunswick, Éva Rehak, croit qu’il y a eu des progrès vers l’autonomie alimentaire. Mais elle constate qu’il y a encore du travail à faire. « Si les portes fermaient, on ne serait pas capable. On a encore besoin de l’aide. On a encore besoin de trouver des projets ou des programmes pour solidifier cette autosuffisance », ajoute Mme Rehak.
Cette agricultrice est copropriétaire depuis 2010 de la Ferme Alva de Saint-Maurice, dans la région de Kent. L’entreprise produit environ 50 variétés de fruits et de légumes biologiques. « Moi, je suis petite. Je ne peux pas fournir à l’année longue », explique-t-elle.
Cette porte-parole des agriculteurs et des agricultrices souhaite une plus grande concertation des différents intervenants pour rendre la province plus autonome. « La nourriture, c’est important. Puis faudrait mettre un peu plus d’emphase, se rencontrer avec les groupes un peu plus souvent », note Éva Rehak.
Des produits véritablement locaux
Alors que l’achat local est mis en valeur, la présence de produits importés dans les marchés des fermiers irrite certains agriculteurs. Kent Coates fait partie des mécontents et il veut d’ailleurs améliorer l’étiquetage, pour s’assurer que les consommateurs comprennent bien d’où provient la nourriture qu’ils achètent. Actuellement, rien n’oblige les marchands à indiquer clairement si leurs œufs ou leurs carottes viennent d’une ferme située tout près du marché ou d’une autre province.
« Il y a toujours un peu de résistance. Parce que c’est difficile d’être la police », note le membre du CA de la Récolte de chez-nous.
« Comment pouvons-nous faire des progrès s’il n’y a pas de confiance? Puis la plupart des clients ne le savent pas. Ils assument que tous les produits au marché viennent des fermes locales », déplore ce porte-parole des fermiers.
M. Coates a d’ailleurs tenté de lancer une discussion parmi les agriculteurs sur l’origine des aliments il y a une dizaine d’années. Mais il n’y avait pas de consensus à ce moment-là. Selon lui, le marché des fermiers de Dieppe doit agir. Et il prévoit soulever cette question à nouveau lors d’une prochaine réunion du conseil d’administration dont il fait partie.
En attendant que la Récolte de chez-nous adopte de nouveaux règlements sur l’étiquetage, Kent Coates incite les consommateurs à carrément demander aux agriculteurs d’où viennent leurs produits.
Michel Nogue a été journaliste à Radio-Canada en Saskatchewan et en Acadie pendant 41 ans.