Tout ce qu’on entend, c’est que la crise dans le secteur de la santé et la pénurie de professionnel·le·s de la santé exige une augmentation d’argent et plus d’actions.
L’avenir des soins de santé dans ce pays ne tourne pas autour d’une lutte pour obtenir des dollars fédéraux, comme les premiers ministres voudraient nous le faire croire. Le drame qui se trame est une lutte pour plus de profits dans ce secteur, et les investisseurs sont déjà en train de gagner discrètement.
Malgré l’espoir que les nouveaux fonds fédéraux annoncés la semaine dernière vont améliorer l’accès aux soins, notamment les soins hospitaliers, primaires, ainsi que les soins à long terme et à domicile pour les personnes aînées, cette décisions soulève également de nouvelles préoccupations. Le premier ministre Doug Ford a dit aux journalistes que le premier ministre Trudeau n’avait pas imposé de restrictions sur l’utilisation de ces fonds pour la prestation de soins de santé par le privé. De son côté, Justin Trudeau a souligné la protection offerte par la Loi canadienne sur la santé, plus particulièrement la garantie d’accès aux soins payés par l’État.
Bien que payer pour des soins avec une carte de crédit ou avec une carte d’assurance-maladie soit problématique, quelque chose de plus grave se profile à l’horizon : la prestation croissante de services de santé à but lucratif et les nouvelles organisations qui accumuleront ces profits, notamment de petits joueurs comme des médecins sur une base individuelle et des sociétés géantes dont la responsabilité première est de répondre aux demandes des actionnaires qui veulent rentabiliser leurs investissements. Ce n’est plus une question de privatisation des soins. C’est une question de profits à engranger.
Capital de risque, capital-investissement et investissement direct étranger explosent dans le secteur des soins de santé. Pourquoi? Parce qu’ils offrent des rendements stables et une croissance, payés par les contribuables, au cours des prochaines décennies en raison du vieillissement de la population.
La Loi canadienne sur la santé ne nous protège pas de cela.
Nous devrions toustes lire la Loi canadienne sur la santé. Elle est courte. Elle est claire. Elle est fondée sur des principes solides et stipule qu’aucuns frais supplémentaires ne doivent être facturés pour des soins médicaux ou hospitaliers nécessaires.
Malheureusement, ce n’est pas un rempart contre l’incursion croissante des investissements en capital dans la prestation des services de santé qui, selon les analystes de marché, pourraient atteindre de nouveaux sommets en 2023. En effet, les seuls profits qui sont interdits par la loi concernent l’administration des régimes d’assurance du gouvernement.
De plus, la loi ne couvre pas les services subventionnés par l’État qui ne sont pas des services médicaux et hospitaliers, par exemple les soins ambulatoires, les soins à domicile, les soins de longue durée, les agences qui fournissent des employé·e·s temporaires, et les applis offrant des soins virtuels. On peut observer une accélération des activités des sociétés dans chacun de ces secteurs.
On nous dit d’accueillir et non de craindre une augmentation des soins à but lucratif; que davantage de soins, quelle qu’en soit la source, est le remède à tous nos maux. Cette affirmation n’est ni nouvelle ni vraie. Des décennies d’études, menées au Canada et à ailleurs dans le monde, démontrent que cette approche est un gaspillage d’argent et résulte en des soins inférieurs.
Prenons l’exemple des établissements de soins de longue durée à but lucratif. Étude après étude, les conclusions indiquent que les établissements à but lucratif ont moins de personnel, des salaires et des avantages sociaux inférieurs, un roulement élevé de personnel, un plus faible éventail de compétences disponibles ainsi qu’une qualité inférieure de soins, comme le prouvent les nombres plus élevés de plaies de pression, d’hospitalisations et de décès. Des données similaires existent par rapport aux cliniques indépendantes à but lucratif fournissant des services de dialyse.
Les fonds de capital-investissement que constituent les chaînes de sociétés corporatives achètent de petites cliniques vétérinaires, dentaires et d’optométrie. Ces sociétés investissent en santé numérique et en cliniques de chirurgies d’un jour. Les corporations, et non les professionnel·le·s, décident comment maximiser les profits.
En dépit des données probantes, Ford a autorisé davantage de profits dans le secteur des soins de longue durée, des soins à domicile, des soins aigus, des soins primaires, et des soins aux enfants.
Renverser la situation par rapport à la privatisation et aux profits dans le secteur de la santé n’est pas impossible, mais les règles commerciales, les contrats et autres protections peuvent rendre difficile et coûteux de tout ramener au sein du système public. Récemment, la régie de la santé de la Saskatchewan a acheté au coût de 13,1 millions cinq établissements Extendicare de soins de longue durée ayant eu un lourd bilan de décès pendant la pandémie, un coût qui visait uniquement à mettre fin aux décès évitables.
Nous n’avons pas besoin d’un plan d’action pour les profits et le contrôle des compagnies qui utilisent l’argent des contribuables. Nous avons besoin d’améliorer le système public.
Comment? En innovant au sein du système public avec la mise sur pied de cliniques spécialisées et de soins virtuels, en offrant aux travailleuses et travailleurs de la santé de meilleurs salaires, un meilleur contrôle de leur horaire, c’est-à-dire en utilisant les mêmes moyens que le secteur privé pour les attirer. La prise de contrôle du secteur à but lucratif fragmente les services et ajoute des frais à chaque étape. Nous pouvons contrer cela par une meilleure intégration des soins grâce aux technologies numériques, à une planification nationale de la main-d’œuvre, et à des listes d’attente centralisées.
L’entente bilatérale entre Ottawa et Queen’s Park doit empêcher les nouveaux fonds publics de se retrouver entre les mains des actionnaires.
La privatisation motivée par les profits dans le secteur de la santé est en croissance. Elle ne sera pas éliminée facilement. Les personnes responsables de nos soins doivent faire leur possible pour empêcher sa propagation.
Cet article d’opinion a été publié dans le Toronto Star le 16 février 2023.
Armine Yalnizyan est économiste et chercheure boursière menant des études sur l’avenir des travailleuses et travailleurs.
Pat Armstrong est professeure émérite de sociologie à l’Université York et membre du conseil d’administration de la Coalition canadienne de la santé.