On nous a dit qu’avec davantage de femmes à l’Assemblée législative, les Néo-Brunswickoises seraient mieux servies par la politique. Présentement, 14 femmes siègent à l’Assemblée, le plus grand nombre jamais atteint au Nouveau-Brunswick. Malgré cela, c’est moins du tiers du total des députés. Neuf d’entre elles sont du côté du gouvernement et six des seize ministres du cabinet sont des femmes, un autre record pour la province.
Est-ce que cela fait avancer l’égalité des femmes ? Est-ce que la condition féminine a fait des gains pour autant ? Depuis 1867 le Nouveau-Brunswick a élu 1161 hommes et 47 femmes.1 La première fut Brenda Robertson en 1967.
Est-ce que ces pionnières ont fait avancer les droits des femmes ? Ont-elles fait front commun de façon non partisane, à l’occasion, pour obtenir des gains féministes?
Si cela est arrivé, personne ne l’a remarqué et les femmes ne l’ont pas célébré. En fait, les prises de bec dans la législature et la condition féminine actuelle au Nouveau-Brunswick nous désabusent de l’idée d’une possible complicité féministe.
À ce sujet, un épisode récent est accablant. En décembre 2020, deux mois après s’être vanté de nommer un nombre record de femmes à son Cabinet, le premier ministre Blaine Higgs a demandé à quatre de ses députées de représenter le parti en chambre, pour rejeter une proposition qui visait à améliorer l’accès à l’avortement, en permettant qu’il soit pratiqué dans des cliniques, comme ailleurs au Canada. Les quatre politiciennes désignées se sont conformées à la demande de Higgs: trois ministres et une députée.
La décision était sans doute facile pour la ministre de la Santé, connue pour courir les manifestations anti-choix. Espérons que la décision était déchirante pour la ministre de l’Égalité des femmes et pour celles qui s’étaient présentées comme pro-choix lors de l’élection trois mois auparavant.
C’était là une manœuvre du pouvoir masculin et de l’antiféminisme ambiant. Identique la décision en 2011, quand Blaine Higgs, ministre des Finances, avait annoncé dans son budget l’abolition du Conseil consultatif sur la condition de la femme et avait demandé aux huit députées Progressistes-conservatrices d’appuyer son geste. Une demande que Dorothy Shephard, Madeleine Dubé, Marie-Claude Blais, Martine Coulombe, Margaret-Ann Blaney, Sherry Wilson, Pam Lynch et Sue Stultz ont acceptée avec enthousiasme. Le gouvernement à plus tard regretté l’abolition et a fait des efforts pour en recréer un nouveau conseil, avant de perdre les élections trois ans plus tard.
Elles sont rares nos élues qui se sont déclarées féministes, ont agi comme féministes, ou qui ont fait siennes les luttes collectives et les dossiers féministes. Quand on leur demande si elles ont rencontré de la discrimination dans le parti qu’elles représentent on a souvent droit à une chorale de #PasMoi. Elles vouent une fidélité indéfectible au parti et celui-ci les trouve utiles à l’occasion pour livrer la marchandise.
Lorsqu’en 2018, une députée a proposée la création d’un caucus non-partisan des femmes élues, afin de prioriser certains dossiers féministes, l’idée a été tuée dans l’œuf par les élues conservatrices. La ministre de la Justice de Blaine Higgs a justifiée son opposition en disant qu’elle était bien plus qu’une femme et que les dossiers relatifs aux femmes ne serviraient pas à abolir les frontières partisanes. Elle a ajouté qu’elle ne manquait pas de confiance comme femme, sans doute parce qu’elle était jeune, avit-elle dit.
Il m’est donc facile de conclure qu’au Nouveau-Brunswick, il n’existe aucune preuve d’un lien entre l’élection des femmes et l’avènement de gains féministes. Les victoires féministes obtenues par les Néo-Brunswickoises depuis les années 70 ont plus à avoir avec l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, assujettissant les provinces à certaines obligations, et aux actions de quelques féministes comme Richard Hatfield, et aux pressions qu’a exercé le mouvement féministe provincial.
Il est sans doute pertinent de noter ici la difficulté qu’ont les femmes élues à l’Assemblée législative pour obtenir de meilleures conditions de travail, comme des congés de maternité, des politiques contre le harcèlement, la conciliation travail-famille et le travail virtuel.
Mon analyse est sans doute influencée par le fait que vingt-deux des femmes élues sont d’allégeance Progressiste-conservateur et les deux autres du Confederation of Regions et du People’s Alliance. Ces partis, dits conservateurs, prônent d’abord et avant tout l’austérité gouvernementale et le marché libre, ce qui n’est pas une formule favorable à la diminution des inégalités.
Mais rappelons aussi que le parti Libéral aura en 2022, pour la première fois de son histoire, une femme candidate à la chefferie, Susan Holt. Mis à part le cas des cheffes néo-démocrates Alexa McDonough de la Nouvelle-Écosse et Élisabeth Weir du Nouveau-Brunswick, les partis politiques de la région de l’Atlantique sont d’un autre temps.
Il devient évident que ce n’est pas davantage d’élues qui fera avancer l’égalité entre les sexes. Des études de la chercheuse canadienne, Manon Tremblay, tirent la même conclusion. « De plus, l’un pourrait en fait être une couverture pour l’autre… L’élection de membres féminins conservateurs au cours des années 80 était un écran de fumée pratique pour lancer une politique néo-libérale et néo-conservatrice, dont l’une des conséquences était l’attaque des acquis des femmes. » Mad Tremblay dit que bien sûr, un plus grand nombre de femmes au pouvoir est essentiel pour atteindre une “masse critique”, mais n’est peut-être pas suffisant pour provoquer des changements. Pour cela, ces femmes doivent également être féministes. La représentation qualitative des femmes est différente de la représentation quantitative. (More Feminists or More Women? Manon Tremblay et Réjean Pelletier, International Political Science Review, 2000, Vol 21, No. 4)
La distinction entre l’élection de plus de femmes et l’augmentation de politiques féministes ne devrait peut-être pas exister, mais elle est réelle, en raison de la socialisation au patriarcat, de la misogynie ambiante, des forces en jeu en politique et des façons de faire de nos partis politiques.
Il faut noter que ce n’est pas le mouvement féministe qui a prétendu que plus de femmes au pouvoir suffirait pour abolir les systèmes producteurs d’inégalités. Les féministes n’ont jamais célébré l’élection ou l’héritage laissé par les Margaret Thatcher de ce monde, mais elles ont appuyé le droit de toute femme de se présenter en politique, même lorsque celle-ci n’a pas l’intention de faire avancer le projet féministe. Le vrai projet féministe – l’égalité entre les sexes et un monde meilleur pour tous et toutes – exige que les féministes s’occupent de politique féministe, occupent les partis politiques, attirent des candidat-e-s féministes et exigent des plateformes féministes!
Ce ne sera pas la présence d’utérus qui changera la politique, ce seront l’analyse et l’action féministes.
Depuis que le mouvement féministe n’est plus là pour commenter ce qu’on fait en son nom, « féminisme » est réduit à signifier autonomie individuelle, «empowerment», ou ce que j’appelle « ajoutons des femmes aux photos du statu quo ». C’est loin du changement féministe revendiqué et nécessaire.
Il faut plus de femmes à l’Assemblée législative, car ce lieu doit refléter la population et parce que plus de diversité signifie plus de talents, de points de vue et d’idées. Mais si nous aspirons à ce changement féministe et à l’égalité entre les sexes, il faut plus de féministes– hommes et femmes – et davantage d’analyse féministe à la législature.
Voilà une dizaine d’années, lors d’un dîner conférence sur les femmes en politique avec la spécialiste Joanna Everitt de l’University of New Brunswick Saint John, une jeune femme a confié qu’elle était d’accord qu’il fallait davantage de femmes en politique, mais que les rares fois où elle avait le choix de voter pour une femme, soit la candidate n’avait aucune chance d’être élue, ou qu’elle n’était pas féministe.
« Devrais-je voter pour une femme simplement parce que c’est une femme? » Mme Everitt lui répondit qu’il faudrait plus de femmes dans tous les partis, afin d’avoir le choix de voter pour une candidate qui représente nos opinions.
Selon moi, il faudrait avoir des partis avec des plateformes féministes, pour qu’on puisse voter pour la, ou le candidat-e de son choix, sans craindre la perte des acquis durement gagnés.
Rosella Melanson est une féministe militante Acadienne et blogueuse de Fredericton.
1 Aldéa Landry. Andrea Anderson-Mason. Ann Breault. Arlene Dunn. Beverly Brine. Brenda Fowlie. Brenda Robertson. Carmel Robichaud. Carole Keddy. Carolle de Ste Croix. Cathy Rogers. Cheryl Lavoie. Dorothy Shephard. Elizabeth Weir. Francine Landry. Georgie Day. Isabelle Thériault. Jane Barry. Jill Green. Joan Kingston. Joan MacAlpine. Kathy Bockus. Kim Jardine. Laureen Jarrett. Lisa Harris. Mabel DeWare. Madeleine Dubé. Marcelle Mersereau. Margaret Johnson. Margaret-Ann Blaney. Marie-Claude Blais. Marilyn Trenholme Counsell. Martine Coulombe. Mary Schryer. Mary Wilson. Megan Mitton. Michelle Conroy. Monique LeBlanc. Nancy Clark Teed. Pam Lynch. Pat Crossman. Pierrette Ringuette. Rose-May Poirier. Sherry Wilson. Shirley Dysart. Sue Stultz. Tammy Scott-Wallace.